De nombreux articles ont été consacrés depuis le XIXème siècle à l’histoire de Port en Bessin. Beaucoup de ces documents restent aujourd’hui difficiles à trouver. Pierre Gouhier, en 1962, puis Philippe Oblet en 1978 en ont fait une synthèse plus ou moins développée.
Il est intéressant, quelques décennies plus tard, d’en reprendre les grandes lignes afin d’enrichir l’histoire du port de documents conservés dans les archives et les musées et de prolonger cette histoire jusqu’au XXIème siècle.
Le village de Port en Bessin est fondamentalement soumis à sa géographie : c’est un port. Pourquoi chercher un autre nom pour un village de pêcheurs, lorsque le site l’impose comme tel. Le village s’appellera Port, « portus » dans les documents médiévaux, dont le premier retrouvé date de 1096 (charte de donation de l’évêque de Bayeux).
Malgré cette évidence, que de combats il a fallu mener pour faire de cette valleuse entre deux falaises un port de pêche classé dans les 10 premiers de France ! Combat continuel contre la nature d’abord pour préserver l’intégrité des installations mais aussi, pendant des siècles, combat contre les autorités administratives et politiques pour prouver que le site est favorable à l’installation d’un port et obtenir des aides de financement.
L’intérêt du site :
Pêcheurs, négociants et hommes politiques ont très tôt compris l’avantage que présente le site de Port : au débouché d’une valleuse, dépression de terrain entre deux falaises, la mer est d’un accès facile par la route. Cette « grande route » qui vient de Bayeux, emprunte jusqu’en 1768 la rue de l’Eglise dans le prolongement de la ruelle qui passe devant le cimetière. Port est ainsi le débouché naturel des produits du commerce de Bayeux. Cette dépression, appelée « Boucle de Port » est creusée dans des marnes grises qui affleurent largement dans les falaises qui l’encadrent : falaise de Huppain à l’Ouest et du Castel à l’est.
A l’aplomb de la valleuse, la mer se révèle en outre d’une profondeur avantageuse pour la navigation.
Dès le XVème siècle, l’évêque de Bayeux, Louis de Harcourt, comprend l’intérêt du site pour favoriser le commerce de sa ville et fait creuser un premier port. Puis Vauban, commissaire des fortifications de Louis XIV, à la recherche d’emplacements pour construire des ports militaires, charge un de ses collaborateurs d’établir un projet pour Port en Bessin et commence en 1694 par y construire une casemate équipée de trois canons sur la falaise du Castel : « la tour Vauban », toujours visible, située en « E » sur le dessin de Nicolas Antoine représentant Port et Commes en 1761.
En face, sur la falaise de Huppain, il fait construire une seconde batterie et un magasin à poudre, représentés en « C » et « H » sur le même dessin, ici en noir et blanc.
Enfin au XVIIIème siècle, au moment où les navires français subissent sans cesse les assauts anglais, un mémoire présenté au Conseil du Roi Louis XV, signale que « Port en Bessin est le site le plus favorable à l’installation dans la Manche, d’un port qui puisse servir de retraite à la marine et protéger le commerce de la France. »
Le site est donc reconnu intéressant mais il va falloir se battre pour réussir la construction des installations portuaires.
Un combat contre la mer :
La mer est un élément qui nous dépasse, un élément incontrôlable. Quand on considère les dégâts causés par les tempêtes de février 1996 et décembre 2010 où la masse phénoménale des vagues endommage les jetées de pierres et de béton, on imagine aisément comment les môles en bois et pierre sèche qui protégeaient le premier port du XVème siècle ont pu être anéantis.
Les registres de délibérations municipales conservés aux Archives départementales portent la trace des problèmes liés à la violence des tempêtes. Ainsi, le 29 pluviôse an 9 (18 février 1801), le maire fait consigner dans le registre la demande qu’il fait au gouvernement concernant les dégâts « que les flots de la mer par leur grande furie ont fait sur la grève à l’endroit où les bateaux pêcheurs se retirent. Cet élément furieux à qui rien ne peut empêcher le cours par sa grande fureur a détruit toutes les places de hallage des bateaux pêcheurs de manière à ne plus pouvoir naviguer sans qu’au préalable il ne soit fait de coûteuses réparations. »
On peut se souvenir aussi qu’en juin 1944, le port artificiel de St Laurent qui doit seconder celui d'Arromanches pour le débarquement est entièrement détruit par la tempête.
Mais si les hommes sont impuissants face à l’arrivée et à l’ampleur des tempêtes, ils peuvent cependant en prévenir les effets par des constructions qui prennent en compte les risques dus aux vents et au coefficient des marées.
C’est ainsi qu’à Port il faut trouver pour les bassins une disposition qui permette aux bateaux d’être à l’abri des vents, l’entrée du port étant dans la direction du Nord, et aux portes de l’écluse de ne pas subir de front l’assaut des vagues. Il faut aussi construire des jetées suffisamment solides pour résister au maximum des tempêtes. Alors le combat contre la mer peut être envisagé.
Un combat contre Caen :
A côté de la mer il y a les hommes avec leurs enjeux politiques et économiques. Il y a aussi les concurrences et les rivalités entre ville voisines.
Tout au long du XVIIIème siècle, nobles, négociants et simples habitants de la ville de Caen font rédiger des mémoires pour s’opposer au projet d’un port à Port en Bessin, mémoires présentés notamment aux ministres de la Marine ou aux Gardes des Sceaux successifs de Louis XV et Louis XVI.
Craignant que ce nouveau port ne concurrence leur commerce ils avancent qu’Isigny est largement suffisant pour écouler les produits du Bessin et du Cotentin et qu’il est préférable d’envisager l’installation d’un port à Colleville-sur-Orne (Colleville Montgomery entre Ouistreham et Lion sur mer). Ils soutiennent aussi que l’aménagement de l’Orne ne peut être qu’un bienfait pour l’importante activité commerciale et manufacturière de Caen.
Ils affirment en outre, avec la plus évidente mauvaise foi, qu’il est inutile de faire des dépenses pour remettre en état le « port des Evêques », Bayeux n’étant qu’un lieu de résidence pour la noblesse et le clergé. Mais Bayeux insiste et les Portais aussi : Port en Bessin aura ses installations portuaires…
C’est ce que nous verrons dans un prochain article.
Sources :
Archives départementales du Calvados :
Carte des villages de Port et de Commes en 1761, dessin lavé de Nicolas Antoine.
Plan de Port, dessin lavé par Pierre Broquet 1776, AD du Calvados
Registres de délibération de la commune depuis 1790.
Base photographique des Archives, base Mérimée.
Louis AUBOURG : Notice sur Port en Bessin, Bibliothèque de Lisieux.
Pierre Gouhier : Port en Bessin 1597-1792, cahier des Annales de Normandie, 1962.
Philippe Oblet : L’Histoire de Port en Bessin, 1978.
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