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lundi 2 avril 2012

Le couvent de Noisy-le-Roi sous la Révolution : extrait du roman "Un fragile jeu de quilles", inédit, Chapitre 2, avril 1792.



... Les draps frais apaisent mon esprit perturbé, mais le plancher étouffe à peine le bruit de la conversation et je comprends peu à peu qu’il est question d’incidents qui viennent de se dérouler au couvent de Noisy-le-Roi.

Je le connais bien ce couvent : j’y suis allée avec mon amie Jeanne il y a deux ans environ, voir son frère : comme les autres membres de la communauté des Cordeliers qui occupe le couvent, il attendait l’autorisation du district pour rejoindre sa famille puisque le couvent allait être vendu comme bien national. Nous étions parties toutes les deux, toute la journée. Il faisait beau et Jean Rochart nous avait fait profiter de sa charrette au retour. La route de Feucherolles à Noisy est quand même un peu longue !

Les dimensions de l’église du couvent étaient surprenante. Le bâtiment, sans grâce, était immense et presque collé au bâtiment conventuel.

Les Noiséens avaient, depuis 1790, écrit de nombreuses pétitions pour récupérer cette église, qui était l’église du village, mais qui, voilà plus de deux cents ans, avait été prise par la famille de Gondi lors de la construction de leur château tout proche à la limite de la forêt : ils avaient décidé que cette église deviendrait leur chapelle. Un couvent avait été installé alors juste à côté desservi par des Minimes puis par des Cordeliers à la suite d’un différend avec l’évêque de Gondi.
 Et les Noiséens avaient dû construire une autre église un peu plus loin, l'église St Lubin.

En attendant Pasquet, le frère de Jeanne, nous avions pu apprécier les jardins, un peu sur la hauteur couverts de parterres de toutes les couleurs : c'était un enchantement ! Une conception très particulière mêlant les corolles multicolores des fleurs et la fraîcheur des buissons et au hasard des chemins, une tour qui servait de passage vers les bâtiments en contrebas et qui avait excité notre imagination : comme un passage secret vers un autre monde…

Pasquet nous avait amusées en nous racontant les aventures du Frère Germain Gonthier qui passait son temps à écrire au district pour se plaindre du soi-disant mauvais traitement que lui faisaient subir le Frère gardien et les autres Cordeliers.

Il racontait qu’on l’avait exclu du chapitre, exclu de la reddition des comptes qui se tenait chaque mois, et qu’on lui tenait des propos tellement injurieux qu’il était sur le point de tomber malade…

Ce que le Frère Gonthier oubliait simplement d’ajouter, c’était son goût immodéré pour le vin et les insultes qu’il proférait, en état d’ivresse, à l’égard des religieux. L’imitation que nous en fit Pasquet nous projeta quelques années en arrière, dans les fous rires de nos jeux d’enfants, avant qu’il n’entre dans les ordres.

Il ne se passait guère d’années sans qu’un membre de notre petite communauté partît ainsi rejoindre le clergé. C'était pallier le manque de terre et éviter le vagabondage.

 Je me réveille en sursaut quand Jean-Baptiste se glisse dans la chambre. Il pleut dehors. J’ai froid aux pieds et n’ai plus envie de dormir. Je sais que pour lui aussi, passé minuit, le sommeil sera long à venir et n’ai donc aucun scrupule à lui demander ce qu’il s’est passé à Noisy.

            En se déshabillant, il m’explique que c’est l’effervescence dans le village car il y a deux jours, le couvent a été pillé : les portes, les serrures, les boiseries ont été volées, la nuit sans que personne n’entende le moindre bruit.

Drôle de temps où l’on s’en prend aux bâtiments religieux. Drôle de temps où l’on chasse les prêtres de leur église, les Frères de leur couvent. Drôle de temps qui met dans la tête des paysans des rêves de bonheur et de liberté. Quand Jean-Baptiste se glisse dans le lit, mon corps attend ses caresses. Mes sens sont restés en éveil. Je me serre contre lui sans répondre à son interrogation sur mon agitation de la soirée. C’est vrai que jamais auparavant je n’ai taché de sang aucune de mes broderies. Je marmonne ; je me fais câline. Je ne réagis pas quand il me demande si j’ai entendu la suite de leur conversation. Là, j’ai besoin de lui.

 C’est le tambour qui nous réveille. « La Patrie est en danger ! La France est en guerre depuis le 20 avril 1792 ! ».


L'histoire du frère Germain Gonthier est vraie. (Archives départementales des Yvelines, série H et Q)


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