Lorsque les habitants de Feucherolles et de Lanluet-Ste Gemme apprennent par leurs curés respectifs, à l’issue de la messe du dimanche, que Louis XVI a décidé de réunir les Etats Généraux, une vague d’enthousiasme les saisit : il vont enfin pouvoir faire part de leurs misères à leur «bon roi».
En effet, la rédaction de cahiers de doléances accompagne traditionnellement l’élection des députés aux Etats Généraux, assemblée des trois ordres du royaume convoquée en cas de difficulté exceptionnelle. En 1789, il s’agit de résoudre le problème financier, l’éternel déficit budgétaire qui nécessite une profonde réforme. Louis XVI et ses ministres sont alors dans une impasse : les privilégiés refusent l’égalité fiscale.
La plus petite communauté rurale, la moindre corporation de métier rédige un «cahier» afin de transmettre au Roi ses espoirs et ses mécontentements, «ses doléances et remontrances».Ces cahiers sont ensuite envoyés au bailliage pour former le cahier du Tiers, à côté de ceux du Clergé et de la Noblesse.
Ces cahiers de doléances forment un remarquable témoignage sur la société à la veille de la Révolution.
Les cahiers de nos deux villages reprennent bien sûr les termes des cahiers modèles qui circulent : il est difficile pour les paysans du XVIIIème siècle de mettre des mots sur leurs soucis. Ils écoutent ceux qui savent lire, écrire et si bien parler mais ils refusent d’ignorer la particularité de leurs terres si proches de la Forêt de Marly : il faudra absolument parler au Roi du problème du gibier et de la chasse !
Alors, d’accord, on va commencer par se plaindre du poids des impôts : de la taille, des aides et de la gabelle (articles 1 et 2 du cahier de Feucherolles). La taille est l’impôt direct perçu par le Roi depuis 1439. Elle pèse sur le Tiers-Etat, le clergé et la noblesse en sont exempts. Elle porte sur les revenus et sur les biens, maisons et terres. Les aides sont des taxes sur les marchandises et la gabelle, l’impôt très mal supporté sur le sel, indispensable alors à la conservation.
Mais c’est l’exemption d’impôt surtout qui est attaquée (article 3 à Feucherolles et 1 à Lanluet-Ste Gemme) : payer, oui, mais s’il y a égalité fiscale. C’est ainsi que les habitants de Ste Gemme proposent un impôt territorial réparti sur chaque propriétaire, idée qui a déjà été avancée par Turgot mais sans succès : il s’est heurté aux plus grands propriétaires du royaume : les nobles.
Les habitants de Feucherolles se plaignent aussi de la richesse du haut clergé et notamment de certaines maisons religieuses dont ils proposent radicalement la suppression (article 7). Ils souhaitent qu’une part plus importante de la dîme (impôt sur les récoltes prélevé par le clergé) soit accordée aux curés qui ont du mal à vivre et qu’une partie de la richesse du clergé serve à aider les pauvres et à payer un maître d’école.
De même, toujours dans un souci d’égalité ils réclament une justice équitable et moins onéreuse. (article 10)
Enfin ils se plaignent de la chasse, surtout à Ste Gemme : c’est le privilège le plus violemment attaqué.
Feucherolles et Lanluet-Ste Gemme dépendent de la capitainerie de St Germain, juridiction spéciale en matière de chasse. A sa tête, le capitaine des chasses fait procéder à tous les aménagements nécessaires aux chasses du Roi auxquelles il assiste lui-même, privilège qu’il partage avec quelques nobles.
Louis XVI aime chasser vers les Alluets : Ste Gemme est sur sa route en sortant de la forêt de Marly. En relisant un cahier de paroisse du bailliage de Versailles, on imagine les dégâts : « La chasse attirait trente à quarante fois par an, cent chevaux à travers les champs et une foule de gens de pied, quelques fois lors de la moisson même, quelques fois quand la terre est amollie par les pluies … Il y a plus : le Roi a-t-il chassé ? Vingt autres personnes munies de permission de la part des capitaineries se croient en droit de venir fouler l’une après l’autre, pour leur plaisir, ce qui reste dans les champs. »
Le paysan ne peut que constater, à la fin de la journée, les dégâts provoqués par les chasseurs.
Les dégâts provoqués par le gibier, tout au long de l’année, sont peut-être encore plus lourds. Les espèces animales pullulent. Il en faut des quantités impressionnantes quand on voit qu’au cours d’une seule chasse, des centaines d’animaux sont abattus. Ainsi, le 16 août 1685, le Roi « alla tirer dans son parc ; il entra dans une faisanderie d’où il fit partir 5000 perdrix et 2000 faisans tout à la fois. »
Non seulement, les besoins de la chasse entraînent une multiplication du gibier mais, pour ce faire, ils bouleversent aussi la vie rurale. Besoins de la chasse ou Plaisirs de la chasse ? Les gardes du Grand Parc sont appelés « Gardes des Plaisirs du Roi » !
Pour assurer au gibier des gîtes sûrs où il puisse se reproduire en toute tranquillité, dès le règne de Louis XIV, on crée des remises. Ce sont des pièces de bois rectangulaires d’un demi-arpent environ à Ste Gemme, (un arpent équivaut à pratiquement 0,5 hectare, plus ou moins, selon les communes) implantées au milieu des terres cultivées. L’une d’elles est encore visible sur les terres de la ferme du Poult à la sortie de Ste Gemme en allant vers la Maladrerie. C’est une aubaine pour les animaux qui ont leur refuge au cœur même des champs qui assurent leur nourriture.
Ces remises, très nombreuses dans le Grand Parc de Versailles, ont été multipliées à Ste Gemme et Feucherolles par ordonnance royale de 1765 pour le plaisir du Dauphin, père de Louis XVI. Elles sont l’objet d’attaques virulentes dans l’article 3 du cahier de doléances de Ste Gemme : non seulement elles ont été imposées aux paysans, causent la ruine de leurs récoltes, mais à la veille de la Révolution, elles ne leur ont pas encore été payées !
Ces pièces de bois sont généralement implantées sur les terres des grandes fermes. Mais ce que les paysans de Ste Gemme ne disent pas, c’est que, si les fermiers sont contraints de laisser dévorer leur grain, en contrepartie, le loyer de la terre est très modique. Cette contrepartie assura la prospérité des fermiers du Grand Parc et de ses alentours.
Rien d’étonnant. Ce sont les plus riches de Lanluet-Ste Gemme qui signent le cahier de doléances : quatre fermiers et six propriétaires pour quatorze signatures ; les journaliers ne sont pas représentés. Alors, ils ne réclament pas la terre ni ne s’élèvent contre la propriété privilégiée. C’est vrai que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du mois d’août suivant inscrira la propriété au nombre des droits naturels et imprescriptibles de l’homme.
La famille Guignard, très vieille famille de Feucherolles (voir tombes dans le cimetière) cumule les responsabilités. Deux de ses membres sont syndics des deux paroisse(responsables de la vie des villages avant la création des communes). Un troisième Guignard est élu député des deux villages : il est chargé de porter le cahier de doléances au bailliage. Il est temps. La réunion des Etats-Généraux est prévue pur le 4 mai 1789.
Paru dans « dialogues feucherollais », 2003
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