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lundi 22 juillet 2024

Dans le clocher de l’église Saint-André.

 

Derrière les murs : l’Histoire

 

Dans le clocher de l’église Saint-André.

 

Aujourd’hui, la machine à remonter le temps ne nous entrainera pas dans un long voyage temporel, ni très loin, non plus, au moins au départ de l’aventure : commémoration du 80ème anniversaire du débarquement oblige, nous nous arrêterons le 9 juin 1944 dans le clocher de l’église Saint-André face à l’inscription difficilement, mais joyeusement gravée au couteau par quelques marins du Georges Leygues.

 

                                 

                                                    Photo prise dans le clocher par Jean-Jacques Vingtrois.

 

                                                                        « Après quatre ans d’occupation

                                                      les marins du Croiseur « Georges Leygues »

                                                      hissent le pavillon national sur ce clocher

                                                                                         9 juin 1944 »

 

Le commissaire de bord du croiseur, Jacques Loison, a consigné le récit de cette journée mémorable : mémorable autant pour les marins du Georges Leygues qui posaient de nouveau le pied sur le sol de France, que pour les Portais qui voyaient enfin le drapeau français flotter au vent après 4 ans d’occupation allemande car depuis la défaite de 1940, il était interdit de pavoiser.

 

« Le but de l’expédition était de porter à la population civile le salut de la Marine Française ainsi que des vivres et médicaments de première urgence et des cigarettes.

Nous n’avions aucun renseignement précis sur le sort des habitants. Avaient-ils été évacués par les Allemands ? S’ils étaient restés, n’avaient-ils pas été massacrés par les bombardements ? Autant de questions traversant notre esprit pendant que l’embarcation se dirigeait vers Port-en-Bessin.

A l’entrée du port nous voyons surtout des Anglais, puis quelques troupes de civils qui reconnaissent le pavillon tricolore et nous font signe d’entrer dans le chenal. Ils courent à notre rencontre, se grossissent d’autres groupes. Quand nous arrivons c’est toute une petite foule en liesse qui nous accueille.

A peine débarqués nous sommes littéralement happés. Des mains se tendent, mains de rudes pêcheurs ; des mains se joignent, mains de bonnes vieilles, fichu sur la tête. Cris dominants : « Des cols bleus ! Ce sont des Français ! C’tions pas trop tôt ! Il y a si longtemps qu’on vous attendait » avec un bon accent normand.

Nous échangeons de solides poignées de mains, les yeux dans les yeux sans pouvoir dire grand-chose, tellement notre émotion est grande.

Nous demandons à voir Monsieur le Maire. Il nous accueille  sous le porche de sa maison généreusement pavoisée, et nous entraîne chez lui. Nous voici dans une cuisine étincelante de propreté, où nous trinquons d’une bonne bouteille de Frontignan de derrière les fagots, à la France, à Port-en-Bessin, au « Georges Leygues ». Les vivres apportés sont accueillis avec joie ainsi que les médicaments qui se faisaient de plus en plus rares chez eux…

Le Maire nous dit sa joie de nous voir apporter des pavillons pour pavoiser aux trois couleurs la maison de l’entrée du port et l’église. Des bonnes volontés rassemblent hampes, fil de fer, et deux expéditions se montent pour hisser les drapeaux…

Le garde-champêtre, devant l’église, nous gratifie d’un magnifique roulement d’honneur. Il faut  aller chercher le curé lui-même pour nous ouvrir la porte donnant accès au clocher. Il arrive clopant-clopant, finit par trouver les clefs, et veut à toute force nous accompagner malgré ses 77 ans bien sonnés.

Les claires-voies très minces et inclinées vers l’extérieur de la base du clocher ne facilitent pas la tâche.

 

                                                                              

 

Il fallut tout d’abord passer de justesse le hampe, puis hisser depuis le parvis le pavillon lui-même. On dût s'y reprendre à plusieurs fois avant de réussir, le vent donnant dans le drapeau et forçant la hampe. Le drapeau a été mis à poste définitivement quelques minutes après notre départ par les pêcheurs qui donnaient la main et à qui nous fûmes obligés de laisser ce soin, notre temps étant limité.

Pendant ce temps une autre équipe hissait le pavillon sur la maison en ruines à l'entrée du port, jadis un dispensaire, transformé en caserne par les Allemands. Les autorités anglaises avaient eu auparavant le geste extrêmement courtois de faire enlever l’Union Jack qui flottait depuis leur arrivée. »

 

                                                        Collection Dominique Poisson.

 

Quant au commissaire Loison il prend le temps de rendre compte de l’état des lieux constatant que « la ville n'a pas autant souffert qu’on aurait pu le craindre ; les dégâts les plus graves sont à l'entrée du port et aux alentours des dépôts de munitions qui ont sauté dans la nuit du 7 juin.

Les maisons atteintes par les bombardements et dont les murs menacent de s'écrouler sont dynamitées par les Anglais. Les Allemands étaient retranchés sur les falaises qui encadrent la ville et, sauf 3 chalands de DCA qui ont été coulés dans le port, Port-en-Bessin lui-même n'abritait aucune véritable position militaire allemande.

 

                             

                                             Épave d'une canonnière allemande. Coll. D. Poisson

 

Les troupes allemandes cantonnées dans la région se composaient d'hommes en majorité très jeunes, 16 ou 17 ans, dont le moral aurait été très bas. Les habitants ne se plaignent pas de leur attitude. Par contre ils gardent une solide rancune contre le chef de la Kommandantur.

 

La population civile n'avait pas été évacuée et compte 6 tués depuis le 6 juin. Les hommes jeunes étaient astreints par les troupes d'occupation à des travaux d'ordre militaire : construction de batterie, d'obstruction littorale. Un fermier s'est vu contraint de démolir lui-même sa maison et de participer sur son emplacement à la construction d'un ouvrage fortifié. Tous expriment le désir de reprendre les armes au plus vite pour en finir avec l'Allemand. »

 

Aussitôt dit, aussitôt fait, et c’est le journal de bord d’un marin du Georges Leygues qui peut le prouver, journal conservé par son fils.

 

En effet, Marcel Robert a consigné de façon rapide, chaque jour, les principaux événements à bord et à la date du 15 juin, il écrit : «  Appareillage à 20h. Trois hommes de Port-en-Bessin se sont engagés chez nous. »

 

Restait à trouver l’identité de ces trois hommes.

Roger Hommet, dans le commentaire qu’il fait d’une vidéo du débarquement tournée par un Anglais, nous apprend le nom du premier : « Deux noms des marins de Port-en-Bessin me sont restés l’un faisant son service militaire sur le Montcalm, Auguste Colleville, et Jean Vicquelin qui s’était engagé sur le Georges Leygues lors de la rencontre qui eut lieu sur le croiseur et dont j’étais avec de nombreux Portais et Portaises. »

 

Le Commandant de Frégate, Florian El-Ahdad, se souvient de cette visite : « La zone étant devenue plus calme, une délégation de la municipalité de Port-en-Bessin vient passer quelques heures à bord. Une alerte de défense contre avions sans conséquence écourte cette rencontre exceptionnelle. »[1]

 

Roger Hommet n’a pas de mal à se souvenir de Jean Vicquelin car c’est lui qui, au moment du mouillage du Leygues à Alger le 15 juillet 1944, allait apprendre à son père, Charles Hommet, la déportation de son fils René Hommet en 1942 et sa mort à Auschwitz, ainsi que la mort de sa femme en 1943. Lourde mission ! Charles Hommet, arrêté le 2 juin 1940 par les autorités de Vichy, avait été déporté en Algérie et libéré en mai 1943 après le débarquement allié en Afrique du Nord.

 

Au moment de son engagement à bord du Georges Leygues, Jean Vicquelin a 26 ans. Il  est né le 7 septembre 1918 à Cherbourg. Il est le fils d’Édouard Jules Vicquelin et de Célestine Colleville. Dans les années 30 il habite rue de la Croix avec ses parents et en 1937 il a reçu la médaille de bronze décernée par le sous-secrétaire d’état à la marine marchande pour s’être « jeté tout habillé à l’eau pour secourir un enfant tombé à la mer à Port-en-Bessin » et avoir «  réussi à le saisir au moment où il allait disparaître ».

 

                                

SHD Toulon : Numéro matricule : 1429 – C – 38, C correspondant à Cherbourg et 38 à l’année de recensement militaire, la classe 38.

 

Quant aux marins portais à bord du Montcalm, ils étaient au moins deux. D’après les souvenirs de Roger Hommet, Auguste Colleville, fils d’Abel Colleville et de Désirée Noël, né le 3 octobre 1919, y faisait son service militaire mais il a vraisemblablement été démobilisé en 1940 lorsque le Maréchal Pétain, alors chef du gouvernement, supprime le service militaire, puisqu’il se marie le 31 mars 1942 avec Odette Hélie.

 

Le journal de bord de Pierre Larripa, marin du Montcalm, (1942-1944), nous permet d’avoir quelques précisions sur un autre marin portais à bord du Montcalm qui avait vraisemblablement rejoint les Forces Françaises Libres et qui va profiter au maximum de ce mouillage au large de Port pour revoir enfin les siens. « Samedi 10 juin : nous avons à bord un matelot qui est de Port-en-Bessin. Il a encore toute sa famille ici. Ses parents viennent de lui faire parvenir un mot, il ira les voir cet après-midi. Il était parti en 1940.

Notre camarade descendu à terre est rentré à bord. Il a retrouvé sa femme, son père, sa mère et sa petite fille qu’il n’a pas vus depuis quatre ans. Quelle joie mais quelle difficulté de les quitter à nouveau ! »

 

Je n’ai pas réussi à retrouver le nom de ce marin, ni dans les archives souvent interdites de consultation vu la date ces événements, ni en faisant appel, via les réseaux sociaux aux souvenirs des Portais. Alors, peut-être que cet article réveillera les mémoires et permettra de rendre hommage à cet homme lorsqu’on aura retrouvé son nom !

 

Le 15 juin, les deux croiseurs quittent les côtes normandes pour aller ravitailler à Milford Haven, au Pays de Galles. On les attend déjà en Méditerranée pour préparer l’opération suivante : le débarquement en Provence.

 

Les marins du Georges Leygues descendus à terre, avaient tenu à inscrire dans le clocher de Port, leur fierté et leur joie d’avoir rendu à notre village le droit de pavoiser aux couleurs françaises.

 

                                                                                                                                                                Any Allard

 

Tous mes remerciements à Charles Cassells qui m’a transmis le Journal de bord de Marcel Robert, à Jean-Jacques Vingtrois qui a pris la photo de l’inscription, préférant ne pas m’accompagner dans le clocher d’un accès difficile et à Dominique Poisson pour les photos du préventorium pavoisé et de la canonnière allemande ! Merci aussi à Jérôme Vicquelin et à sa famille de m’avoir permis de parler ici  de deux des leurs.

 

Et, surtout, si parmi vous lecteurs de cet article, quelqu’un peut mettre un nom sur les deux marins engagés avec Jean Vicquelin à bord du Georges Leygues, ou sur cet autre à bord du Montcalm, merci de me contacter ! pour leur rendre aussi hommage…

 

Sources :

Correspondance échangée avec Roger Hommet

Cols bleus, magazine de la Marine Nationale, juin 2019

Journal de bord de Marcel Robert, marin sur le Georges Leygues.

Journal de bord de Pierre Larripa, marin sur le Montcalm, Centre culturel Port-en-Bessin.

Archives du Service Historique de la Défense de Toulon.

AD 14 : États-civil et recensement de population de Port-en-Bessin

AD 50 : Registre matricules de Cherbourg

 

 

 

 



[1] Commandant de Frégate, Florian El-Ahdad, 25 e promotion de l’école de guerre, In « cols bleus » le magazine de la Marine Nationale, juin 2019.

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