Pour me contacter :

any.allard@club-internet.fr

dimanche 3 mars 2024

Derrière les murs, l’Histoire : Le Centre culturel Léopold Sedar Senghor, La seule ferme de Port-en-Bessin :

 

Fermez les yeux et prenez place dans la machine à remonter le temps, vous n’êtes plus dans le Centre culturel, vous êtes au XVIIIème siècle dans la plus grande exploitation agricole de Port-en-Bessin, la seule d’ailleurs : « la ferme de Port » appelée aussi « le manoir seigneurial » car l’ensemble appartient aux évêques de Bayeux, seigneurs du lieu depuis Guillaume le Conquérant.

 

Les bâtiments se situaient alors en dehors du bourg, les marins s’étant installés au plus près de la côte, laissant les terres agricoles de la ferme s’étendre le long de ce qui sera plus tard la rue de Bayeux (rue du Dr Camille Huet) construite en 1768.

 

Auparavant, lorsqu’on arrivait à Port en venant de Bayeux, on empruntait ce qui est aujourd’hui le chemin de la Maladrerie, qui était alors la route de Bayeux à Port. Cette route traversait, à la sortie d’Escures, les bâtiments isolés d’une léproserie dont la présence est attestée dès le XIIème siècle, d’où son nom.

 

La route passait ensuite entre l’ancienne église St André située à l’entrée du cimetière et l’ensemble formé par le manoir et la ferme comme on peut le voir sur le plan dessiné par Nicolas Antoine en 1761. (La ferme est en B). 

 

 

 

 

 

 

Grâce à Paul Signac nous pouvons visualiser l’endroit un siècle plus tard, lorsqu’il dessine l’église St André en 1882. Le pignon au premier plan est le bâtiment Est de la ferme. Il sert aujourd’hui d’atelier à l’association « La Jolie Brise » pour la rénovation des anciennes barques de pêche.

 

 Le dessin lavé de Nicolas Antoine permet de voir que l’entrée dans la cour de la ferme se faisait par une porte chartrière en face de l’église, encore visible aujourd’hui, quoique murée.

 

          

 Avant la Révolution, comme dans toute société villageoise d’Ancien régime, les fermiers de l'évêque sont les seuls du village à avoir une certaine aisance. Ils exploitent une vaste superficie de terres prises en location sans aucune commune mesure avec les quelques arpents cultivés par les marins pour assurer leur subsistance.

 

Leur but est la rentabilité maximum. Ce sont des entrepreneurs prêts à partir ailleurs si tel est leur intérêt. Ils ne sont pas attachés aux villages où ils sont installés.

 

En 1789, le manoir et la ferme sont tenus par Jean Costil, puis après la mort de ce dernier en janvier 1793, par sa veuve, Magdelaine Le Moisy, (ou le Noircy selon les actes) et Olivier Costil, son fils, né le 6 août 1760.

 

Les parrain et marraine d’Olivier peuvent apporter la preuve du désir des fermiers de s’élever dans la hiérarchie sociale.

 

En effet le parrain, Olivier Hébert, est un noble, écuyer, né à St Martin de Blagny, diocèse de Bayeux où habitait sa mère Marguerite de Godefroy qui a épousé René Hébert, lui-même écuyer, sieur de Saint Clair seigneur de Huppain à la fin du XVIIème siècle. La marraine est son épouse, Noble dame Jeanne Françoise Du Praël.

Les Hébert de Saint Clair étaient en effet seigneur de Huppain qu’ils tenaient en fief des évêques de Bayeux. Guillaume Hébert, écuyer, est enterré dans le chœur de l’église de Huppain le 5 mars 1715.

 

Lorsque l’Assemblée constituante décide de mettre en vente les biens du clergé en décembre 1789, Jean Costil achète la ferme des évêques et toutes les terres et dépendances qu’il louait auparavant. Notable bien établi, il est élu maire pour sept mois jusqu’à la chute de la Monarchie le 10 aout 1792 qui va provoquer de nouvelles élections.

 

Preuve encore de l’aisance des fermiers, c’est la veuve Costil et son fils qui doivent donner la plus grande part des réquisitions pour nourrir les volontaires nationaux casernés à Port pendant la Révolution, ou pour donner du blé à ceux qui n’ont rien pour subsister, ce qu’ils refusent répondant « hautement » à la municipalité que, s’ils s’exécutent, ils n’auront plus de quoi planter l’année suivante.

 

Si les fermiers méprisent les habitants du village, ces derniers leur rendent bien la pareille : les fermiers sont des paysans tandis que le matelot reste un homme de la mer.

 

Pierre Gouhier notait en 1962 ce mépris du marin envers le paysan précisé dans l'enquête de l'an XII : « des habitants de Port-en-Bessin se sont absolument refusés à être réunis à l'une des communes environnantes , en prétextant que « la commune de Port est un bourg composé de presque tous matelots pêcheurs, dont le caractère, l'intérêt et les occupations de leur état sont incompatibles avec les communes voisines » ; l'heure même des offices de leur église n'est pas toujours celle des autres communes : la mer et le mauvais temps commandent aux matelots . Le halage et le sauvetage des bateaux de Port ne se fait que par des cabestans, ce qui exige presque tous les bras des habitants et souvent à des heures imprévues par le changement des vents, ce qui dérange souvent l'heure des offices qu'on est obligé d'avancer ou retarder suivant aussi les marées ».

 

1826 : installation du presbytère

 

Dès le Moyen Age, l’Évêque, le chapitre de Bayeux et les chanoines de Port possédaient de nombreux bâtiments dans la commune dont une maison rue Nationale qui servait de presbytère et où logeait le curé. Il était, certes, éloigné de son église qui se situait comme nous l’avons vu, dans le cimetière, mais il ne pouvait pas loger plus près puisque, en dehors de la ferme, il n’y avait que des champs autour.

 

Cette maison était construite en face de la ferme du seigneur d’Argouges, à côté de la propriété noble des du Long Pray : c’est aujourd’hui le bar « Au loup bar » ! Les murs demeurent : leur destination change…

 


Pendant la Révolution, le presbytère est mis en vente comme bien national du clergé et comme le curé Postel y habite, il souscrit pour son achat et remporte les enchères à la bougie. Pas besoin de déménager, ce presbytère, où il était logé depuis son arrivée comme curé à Port devient sa propriété en germinal an V (1797).

A sa mort en décembre 1806, la famille hérite de la maison et la vend à la famille Nicolle du Long Pray à qui appartient la grande maison et le parc à côté.

 

La commune doit donc trouver un nouveau local pour loger le curé, mais la commune n’est pas riche et ne peut pas acheter une maison pour le desservant de l’église.

Le conseil municipal décide donc de louer un local pour servir de presbytère et le propriétaire de la ferme de Port accepte de donner en location une partie de ses bâtiments.

 

Alors, en 1826 le presbytère est installé dans l’ancienne ferme qui appartenait aux évêques

Le futur centre culturel abrite donc pendant presque 150 ans le presbytère.

 

Ce n’est qu’en 1961 que le presbytère est installé à son adresse actuelle, 41 rue de Bayeux.

 

Depuis la fin de la guerre, les terres agricoles ont cédé la place aux maisons d’habitation et la création d’un ministère de la Culture et de la communication en 1959 encourage la création des Maisons de la culture.

 

Les bâtiments de la ferme de Port sont rénovés et réhabilités pour devenir Centre culturel inauguré le 9 novembre 1991 en présence de Léopold Sedar Senghor, écrivain et Académicien français, ancien Président du Sénégal, alors retiré à Verson, près de Caen.

 

Senghor était un farouche défenseur de la culture dont il affirmait que c’était « la civilisation en action ou mieux, l'esprit de la civilisation »

 

Nombreuses sont les fermes du Moyen Age qui ont trouvé aujourd’hui une nouvelle vocation. Certains presbytères sont devenus des bars peut-être aussi !

Alors si les murs avaient de la mémoire, à défaut d’oreilles, que d’histoires ils pourraient nous conter !

 

                                                                                                                                     Any Allard

 

Sources

AD 14 : Registre de délibérations de la commune 1826

AD 14 : Nicolas Antoine, Plan lavé de Port-en-Bessin et de Commes, 1761

Site www.pop.culture.gouv.fr : le manoir de Port-en-Bessin

Archives familiales







Aucun commentaire:

Membres