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dimanche 1 mars 2015

1914-1918 : Port en Bessin et Huppain dans la tourmente de la Première Guerre mondiale.



Jules Adam, César Barey, Emile Baudoin, Jules Bihel, René Birée, Aimé Blaie, Léon Cauchard, Pierre Cauvin, Gustave Colleville, Charles Conin, Charles Coultous, Henri Delain, Lucien Delain, Jules Douard, Fernand Dudouet, Jules Dupont, Anatole Duval, Georges Françoise, Léon Gaignant, Ferdinand Godey, Jules Guesdon, François Itier, Paul James, François Labbé, Ernest Lallement, Albert Langlois, Georges Lebon, René Lebreton, Jean Marie Lecuyer, Jean Baptiste Lefournier, Anatole Leherpeur, Jean Lemuzic, Maurice Lepleux, Alphonse Madelaine, Edouard Marie, Eugène Maurouard, Charles Morel, Gabriel Nicolle du Long Pré, Alphonse Pignet, Maurice Requier, René Requier, Paul Ruault, Charles Thézard[1], Louis Thin, Maurice Tourquetil, Léon Travers .

Quarante-six noms gravés sur les monuments aux morts de Port et de Huppain, 46 hommes morts au combat ou des suites de leurs blessures. Au moment où l’on commémore le centenaire de la Première Guerre mondiale, il est important de s’intéresser au sort de ces soldats, pour leur rendre hommage et voir l’impact du conflit dans la vie de nos villages.
photo[1]La Première Guerre mondiale est une guerre totale ; elle va faire appel à toutes les ressources des états engagés dans le conflit : ressources matérielles, industrielles et scientifiques mais surtout ressources humaines, physiques et morales. Le bilan est lourd : 9 millions de morts, un nombre considérable d’invalides et un champ de ruines dans la zone de combat. Mais si cette zone de combat sur le front occidental est vaste et mouvante, elle n’en reste pas moins localisée, dans l’esprit de chacun, au nord-est de la France sur une ligne qui s’étire de la mer du Nord à la frontière suisse.



On pourrait, dès lors, penser que Port et Huppain ne subissent que le chagrin de voir les leurs partir et peut être ne plus revenir. Il n’en est rien car la guerre sur terre se double vite d’une guerre sur mer, et là, Port est au premier plan.
photo[1]En effet le Calvados est considéré comme zone de combat comme toute région bordée par la Manche : il faut garder le front d’une mer quadrillée par les sous-marins allemands décidés à lutter contre le blocus imposé à leur territoire en coulant les embarcations ennemies, et un chalutier est une embarcation ennemie puisqu’il cherche à ravitailler la population française et ses alliés. Les pêcheurs vont ainsi payer un lourd tribut dans ce premier conflit du XXème siècle.
Le Calvados est aussi une zone de refuge pour les Belges et les gens du nord de la France qui fuient l’avancée allemande. L’exode pousse des réfugiés belges jusqu’à Port où ils sont pris en charge par quelques âmes charitables et aident au travail dans les fermes. En deux ans, ils seront 13 000 à venir se réfugier dans le Calvados, le gouvernement belge en exil ayant été accueilli au Havre.
Alors pendant 4 ans, chaque jour, le départ des hommes au front, les restrictions de la pêche pour ne pas mettre les marins en danger, les barques coulées par des sous-marins allemands, le rationnement, les accidents d’avion en mer et surtout la perte d’êtres chers, rythment la vie du port.

1914 :
Eté 1914, Port en Bessin et Huppain vivent leurs derniers jours de paix dans le calme et la fête. Le 5 juillet la bénédiction de la mer par l’évêque Thomas Lemonnier est une réussite totale malgré la pluie. Les jours suivants, chacun vaque à ses occupations quotidiennes tout en se tenant au courant par les journaux des inquiétantes nouvelles d’Europe centrale : c’est loin l’Europe centrale et les états ne semblent pas prêts à se battre. Cependant, le 31 juillet, l’annonce d’une mobilisation partielle sur appel individuel, rend la possibilité d’un conflit envisageable. Les inscrits maritimes en congé de disponibilité sont les premiers appelés. Le lendemain, plus de doute possible, c’est la mobilisation générale : les hommes de 20 à 24 ans aptes au service militaire déjà sous les drapeaux sont rejoints par les hommes de la réserve (24 à 34 ans) et de l’armée territoriale (35 à 48 ans) qui reçoivent l’ordre d’aller garder les voies ferrées. Toutes les barques de pêche et les chaloupes sont consignées au port. Les chevaux sont réquisitionnés et emmenés à Bayeux d’où ils partent pour les zones de combat afin de servir au transport du matériel. Il faut trouver une autre traction pour les instruments de labour.
De toute façon, personne ne songe plus à travailler, tout le monde est dehors, dans les rues, sur les quais, commentant les nouvelles, pleurant le départ d’un conjoint ou d’un enfant. La déclaration de guerre entre la France et l’Allemagne parvient à Port et à Huppain dans l’après-midi du mardi 4 août. « C’est l’arrêt de la vie normale, la suspension des projets, l’ajournement des espérances. » (Abbé Bernard).
En conséquence l’état de siège est décrété. Il faut un sauf-conduit pour se déplacer sur les routes et la circulation automobile est interdite de 6 heures du soir à 5 heures du matin. Les entrées des deux communes sont surveillées par des volontaires armés. Ces barrages seront supprimés à la fin du mois d’août pour faire place à des rondes nocturnes, elles-mêmes supprimées le 30 octobre, l’avance allemande étant considérée comme stoppée après la bataille de la Marne. Quant aux barques et aux chaloupes, elles ont alors de nouveau le droit de sortir en mer mais en arborant le drapeau français en haut du mât pour se faire reconnaître, le risque étant la rencontre avec un sous-marin allemand. Elles sortent dès lors, la plupart du temps, à plusieurs, l’une d’elle étant armée.

 

Dans la première quinzaine d’août, une centaine d’hommes partent de Port et de Huppain pour le dépôt de Cherbourg où ils reçoivent leur affectation, soit dans la marine pour assurer le transport des troupes ou donner la chasse aux bateaux allemands, soit pour rejoindre les lignes du front. Le 7 août, le maire de Huppain Pierre Cochet annonce qu’il doit quitter ses fonctions étant mobilisé : Léon Thin devient maire à sa place. A Port, le docteur Canuet, le pharmacien Charles Coultous et l’infirmier Duhutrel doivent rejoindre le service des ambulances en première ligne et la municipalité doit s’organiser pour trouver le moyen d’assurer un service médical rendu inexistant par leur départ à la guerre. Il est convenu que le docteur Moschos de Formigny assurera, deux matinées par semaine, une permanence à l’abri Thomas Lemonnier.
Il faut aussi porter assistance aux familles privées de revenus du fait du départ des hommes. Le 11 août  le conseil municipal de Port demande l’autorisation du Préfet pour prélever un peu d’argent sur le legs Letourneur (rente faite à la commune par la veuve Letourneur à la fin du XIX ème siècle pour secourir les marins dans le besoin) et sur le fonds prévu pour les « Régates » géré par le Comité des Fêtes, afin de venir en aide aux familles des appelés. De même, le 1er décembre, 1000 francs sont de nouveau pris sur le legs Letourneur pour secourir les hommes privés de travail du fait de la guerre. Il faut dire que les marins sont partiellement au chômage : en effet, pour des raisons de sécurité face au danger engendré par la présence de sous-marins allemands dans les eaux de l’Atlantique et de la Manche, les barques de pêche sont interdites de sortie la nuit, ce qui entraine, selon les marées, une forte réduction du salaire des pêcheurs. Sous l’impulsion du député, le Baron Gérard, bienfaiteur estimé à Port, un comité composé du maire, du curé et de toutes les bonnes volontés se constitue pour distribuer des vivres à l’abri Thomas Lemonnier, plusieurs fois par semaine.

Les lettres des soldats sont très attendues. Elles sont souvent lues à haute voix dès l’arrivée du courrier et permettent de savoir où chacun a été envoyé. Sur les mers pour faire la chasse aux navires et sous-marins allemands (Joseph Tabourel et Gaston Foliard) ou pour transporter les troupes d’un port à l’autre (Arthur Blaie), dans les forts de défense de Cherbourg et du Havre pour garder le front de mer (Edouard Durand, Paul Prestavoine, Auguste Cavey), ou bien beaucoup plus loin : Adrien Delain écrit depuis la Turquie où il va passer deux mois au blocus des Dardanelles et avec ses camarades, détruire deux forts qui gardent l’entrée de la mer de Marmara et Auguste Hélie est en Méditerranée à bord du « Victor Hugo ». Paul Prestavoine quant à lui se plaint de la monotonie ressentie à surveiller jour et nuit la Manche avec pour seule activité l’entraînement au tir au canon. Il sait qu’au moins, pour le moment, il est à l’abri. Les autres mobilisés se répartissent sur la ligne de front, (Alphonse Pignet à Reims, Gaston Letourneur à Dunkerque, son frère Paul à Maubeuge) et à l’arrière pour le ravitaillement (Albert Lamy à Caen, Louis Thin à Lisieux, Albert Marie à Cherbourg). Mais ces lettres apportent aussi de mauvaises nouvelles de camarades blessés ou tombés au combat. Elles sont d’autant plus redoutables quand elles arrivent avant que le maire n’ait été averti officiellement du décès d’un soldat pour en faire lui-même l’annonce aux familles.
Ainsi le bilan établi en novembre par l’abbé Bernard dans le Pilote est déjà lourd entre les blessés, les prisonniers et les morts. Louis Carpentier, blessé, est soigné à l’hôpital de Verdun ; Georges Leherpeur, touché par des éclats d’obus aux cuisses et au dos a été rapatrié à l’hôpital de Dinan. Amand Durand est hospitalisé au collège de Châteaudun pour avoir été blessé au bras par les Allemands alors qu’il posait des fils de fer barbelés dans la région d’Arras. 

Amand Durand.

Alfred Férey, Maurice Malherbe, René Lepleux, Paul Letourneur et Gaston et Paul Perrée sont prisonniers de guerre en Allemagne. Ils se disent bien traités mais leur correspondance est surveillée. En fait, Gaston Perrée, interné en Prusse, passe douze heures par jour à 100 mètres sous terre dans une mine de charbon.
Les autres enfin, sont morts au combat : dès les 22 et 23 août, René-Ferdinand Requier et le caporal Jean-Baptiste Lefournier sont tués en Belgique. Une semaine plus tard, le caporal René Lebreton et Paul James tombent dans les combats de Picardie. En septembre Paul Ruault, sapeur-pompier, est tué au combat de Morsains en Brie et le caporal Albert Langlois, étudiant en lettres à Paris pour devenir professeur, succombe à Cauroy dans la Marne après avoir reçu un éclat d’obus à deux cents mètres de l’ennemi. En décembre 1913, il avait renoncé à son sursis pour être incorporé dans l’armée. Le capitaine François Itier meurt le 23 septembre lors d’une charge à la baïonnette au combat de Vaux les Palameix, au sud de Verdun. Sans le savoir, il avait alors mis ses pas dans les pas d’Henri Fournier dit Alain Fournier (le Grand Meaulnes), mort la veille avec 22 de ses camarades au même endroit sur le chemin de la tranchée de Calonne, lieu de combats acharnés. Fin octobre, le caporal Georges Françoise, instituteur, ancien enfant de chœur de Port, rend l’âme, après une agonie de 10 heures, la jambe fracassée et le ventre transpercé d’une balle. Enfin le capitaine Léopold Gabriel Nicolle du Long Pray, St Cyrien, beau-frère de François Itier est tué, l’épée à la main, le 30 octobre au combat du Quesnoy en Santerre, en Picardie. 

 
Capitaine Nicolle du Long Pray.

Charles Morel est aussi à compter au nombre des morts de Port en 1914.
 Et ce sont toujours les mêmes nouvelles du Front qui sont affichées chaque jour sur le contrevent du bureau de poste. Toujours les mêmes nouvelles, entourées de mystère : on ne sait pas vraiment ce qu’il se passe en première ligne.
Déjà la classe 1915 (hommes nés en 1895), est appelée pour aller suivre l’instruction dans le maniement des armes : Jules Allard, Lucien Delain, Frédéric et Marcel Foliard, Jules Guesdon et Alphonse Madelaine, quittent leur foyer le 18 décembre. A cette occasion Jules Allard le plus âgé (il n’a pas encore 20 ans, mais il est du mois de janvier !) est chargé par ses camarades de prononcer un discours lors d’un « modeste » banquet qui les réunit autour du maire de Port, pour marquer leur départ.


 
Jules Allard
Quelques extraits de ce discours très émouvant montrent bien l’état d’esprit de ces jeunes hommes au moment de partir au combat.
« Comment ne pas espérer quand nous voyons en votre personne, Monsieur le Maire, l’image de la vaillance, vous portez sur votre poitrine la médaille des braves, la médaille des combattants de 1870-71, la médaille de l’année terrible. Année terrible, Gambetta, l’Alsace Lorraine, la Revanche, que ces mots sont beaux et qu’ils nous sont chers, car hier encore sur les bancs de l’école ils retentissaient à nos oreilles. Eh bien Monsieur le Maire, cette médaille que vous portez fièrement, nous vous jurons que nous ferons tout notre devoir pour la mériter ; nous y penserons toujours, elle sera notre fanion dans les sentiers obscurs de la victoire… Nos jeunes cœurs sont plein de vaillance et si la poudre de notre ennemi est sèche, nos baïonnettes sont faites pour lui crever les flancs et son sang impur arrosera de nouveau nos sillons… » (Pendant toute la durée de la guerre le maire de Port est Michel Lefournier, armateur, élu le 27 janvier 1913.)

1915
Les armées, face à face, s’enlisent dans la guerre de tranchées, dans la boue, l’humidité et le froid de l’hiver : Albert Delain et Jules Durand ressortent de la tranchée les pieds gelés après un âpre combat contre les Allemands dans la Marne. Gustave Tabourel dépeint bien la situation : « Il y a des endroits où les adversaires ne sont pas à 80 mètres les uns des autres. ... Quand il pleut, les hommes ont de l’eau jusqu’aux mollets…. Il faut vraiment avoir une force de caractère pour vivre cette vie-là. … Eh bien ! Le croiriez-vous… on peut lire dans tous les yeux non pas la peur de la mort mais la ferme résolution de venir à bout des lâches qui se sont terrés sur notre bonne terre de France…»
Les soldats côtoient la mort à chaque instant. Le docteur Canuet en fait état dans plusieurs lettres : « La bataille de la Marne à peine terminée, on nous envoie enterrer les morts…. Nous apercevons des cadavres de chevaux…Je couche chez une femme dont la fille a été tuée d’une balle à bout portant dans le ventre par les Prussiens… Je vais tous les jours à l’hôpital aider deux de mes collègues qui soignent et opèrent de nombreux blessés… Tous les jours même la nuit le canon tonne plus ou moins loin. Des aéroplanes passent de temps en temps… La recherche des morts et l’assainissement du champ de bataille sont une corvée plutôt pénible par ces chaleurs et il faut avoir le cœur bien placé par moments. »
Gustave Colleville tombe face à l’ennemi le 14 février en Belgique. Sur une carte postale timbrée du jour même de sa mort il écrivait : « Nous sommes à pas 60 mètres des boches, les fils de fer se touchent presque. » Frappé d’une balle au visage il meurt sur le coup. Dans les Dardanelles les combats sont aussi meurtriers : Jean Lécuyer, matelot sur le Bouvet, y perd la vie, le cuirassé coulant en une minute après avoir été éventré par une mine. Arthur Blaie, sur un croiseur auxiliaire, décrit une situation difficile face aux Turcs : « … Les Turcs avec leurs vilaines ruses … avaient reçu des gros renforts en arrière et toute la nuit ont attaqué… La bataille qui se déroule tout de suite est terrible. » Plus tard, quartier-maître sur La Lorraine, il participe au transport des troupes serbes d’Albanie à Corfou et affirme que les soldats sont dans un tel état d’épuisement qu’une bouchée de pain leur est mortelle. Léon Cauchard disparait dans la mer de Marmara lors du naufrage du Casabianca avec les 84 marins qui formaient l’équipage. Lucien Delain, appelé à un bel avenir après être sorti premier de l’école d’instituteur de Caen, meurt avec toute sa section dans l’explosion d’une mine à Mametz-Fricourt dans la Somme. Jules Bihel, inscrit maritime versé à l’armée de terre est porté disparu au mois de juin au bois de la Gruerie, dans la Marne. Tant qu’on ne retrouve pas le corps, impossible de savoir si le disparu a été tué ou fait prisonnier. C’est aussi le sort, ce même mois de juin, de Charles Thézard disparu au Labyrinthe[2] dans le Pas de Calais. Son corps retrouvé plus tard et reconnu par son frère jumeau montre qu’il a été violemment touché en haut du crâne. Le casque commence tout juste alors à se généraliser et les soldats n’en sont pas encore tous équipés. 

Charles Thézard

Emile Baudouin, quant à lui, n’est pas mort en 1915, comme gravé sur le monument, mais le 21 mai 1916, à Esnes dans la Meuse.
Au même moment, devant l’ampleur des combats, 48 Portais qui étaient revenus du front sont rappelés d’urgence et la jeune classe 1916 part pour l’instruction le dimanche de Pâques : Maurice Durand, Maurice Requier et René Viard. Ces départs précipités aggravent la situation économique du port : seules 16 barques sur 38 continuent le travail et le jour seulement jusqu’à la fin de 1915 où l’interdiction de pêcher la nuit est levée à condition de rester dans une zone limitée par une ligne Réville-Trouville. Le moindre poisson est acheté à prix d’or par les mareyeurs pour la vente en ville tant et si bien que c’est devenu une denrée rare dans la région. Il faut dire que le poisson est un appoint non négligeable face aux restrictions imposées par la guerre. 

En septembre, Jules Guesdon disparaît d’une balle dans le cœur dans la Marne. Quelques mois plus tôt, il écrivait à Jules Allard : « … le bruit court qu’on doit aller du côté de Constantinople chez les Turcs. Je voudrais bien… On verrait du pays. » En octobre, Edouard Marie, marin canonnier, périt dans le naufrage du dragueur de mines Alose. Les lettres de Gustave Tabourel décrivent une situation qui ne s’améliore pas : « Nous habitons dans des trous couverts de branches quand nous sommes au repos ... à 900 ou 1000 mètres de l’ennemi. Quand il pleut, les tranchées sont transformées en ruisseaux, on en est quitte pour un bain de pieds. … Nous espérons tous une fin prochaine à cette guerre, ce serait vraiment terrible s’il fallait encore passer un an comme celui qui vient de s’écouler… C’est toujours la vie monotone, 8 jours en ligne, 4 jours dans les vallées … pour des corvées avec pelles et pioches… dans cette guerre il faut savoir être mineur, charpentier, terrassier. » Bien plus, les soldats doivent dorénavant subir les gaz suffocants et asphyxiants (gaz moutarde et ypérite) qui sèment la panique dans les tranchées : «Nous nous sommes rendus compte de l’arrivée de ces gaz à leur odeur d’éther et de formol et surtout aux brûlures que l’on ressent aux yeux et qui font pleurer abondamment. »
Anatole Leherpeur, qui a devancé l’appel, Fernand Dudouet, receveur de la gare de Port et Maurice Tourquétil, tous trois de l’infanterie, disparaissent à l’automne dans cette terrible guerre de tranchée, dans le Pas de Calais. «  Nous avons passé Noël en première ligne. Toute la nuit l’artillerie a bombardé les villages de l’arrière occupés par les boches, ils n’ont pas réveillonné tranquilles. Le canon tonne souvent et certains jours d’attaques on a l’impression d’un perpétuel roulement de tonnerre. » (Georges Tabourel). Port perd encore un homme deux jours plus tard, Jules Dupont, en Champagne, mort de ses blessures.


 



Pendant ces heures sombres dont personne ne voit la fin, les deux municipalités tentent de trouver les moyens de secourir les familles. Le 1er août le conseil municipal d’Huppain annule la distribution des prix « en raison des circonstances » et la somme de 35 francs ainsi économisée est allouée aux œuvres de l’Orphelinat des Armées et des Prisonniers de Guerre. La municipalité de Port fait de même et décide que le reste de la somme remise aux Orphelins de Guerre, soit 168 francs, servira à acheter de la laine pour faire des tricots pour les soldats. Ces tricots seront faits par les filles des écoles sous la surveillance de la directrice, Mme Lemoine. A la fin du mois d’août le conseil décide l’achat de 25 exemplaires du livre d’Armand Marie-Cardine, inspecteur primaire honoraire à Lisieux, né à Port et ancien instituteur dans la commune, auteur d’un livre sur les traits d’héroïsme à la guerre en 1914 et 1915. Le même jour, il accepte l’offre d’Eugène Carpentier domicilié à Paris mais possédant une maison sur les quais à Port : il fait don à la commune d’une œuvre de sa composition représentant les morts au champ d’honneur.



Les deux municipalités tentent ainsi de rendre hommage à leurs soldats et aux familles dans le besoin. Mais il faudra bien d’autres écrits, et bien d’autres tableaux pour rendre compte de ce qu’il reste à venir : plus de deux années de guerre avant la fin des combats.
Any Allard.


Sources :
Registres de délibérations des communes de Port en Bessin et de Huppain, archives du Calvados et archives municipales de Port en Bessin.
Registres matricules des armées du Bureau de Caen, archives départementales.
Le Pilote de Port en Bessin, Abbé Bernard, curé de Port, imprimerie catholique de Flers de l’Orne, 1917 et 1925.
Correspondance privée, Jules Allard.
Photos, collection privée de A. Durand, JL Queguiner, MJ Lebret.




[1] Le nom de Charles Thézard est gravé sur les monuments de Port et de Huppain car, enfant de Port, il habitait à Huppain au moment de la guerre.
[2] Ensemble de tranchées entrecroisées se poursuivant sous terre par des abris  entre Neuville et Ecurie.

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