Extrait de "Un fragile jeu de quilles", Any Allard, inédit., pages 107 à 111.
" ... Depuis plusieurs semaines, la maison, le soir, ne désemplit pas. C’est qu’il y a urgence : il faut au plus vite terminer la lettre que les habitants de Feucherolles comptent adresser au directoire de district de St Germain pour soutenir la demande des habitants de Lanluet de réunir nos deux communes.
Ce n’est pas
une idée nouvelle : il me semble avoir toujours entendu discuter de ce
projet de réunion tant nous sommes proches les uns des autres. Ainsi, dès le
début de la Révolution, lorsque l’Assemblée Constituante a proposé la réunion
des communes qui le souhaitaient, les habitants de Lanluet ont aussitôt demandé
leur rattachement à Feucherolles. Trois ans plus tard, toujours pas de réponse
à la demande, ni du département, encore moins de l’Assemblée. Alors la décision
a été prise à la dernière réunion de la municipalité de s’adresser aux
autorités de district devenues les interlocuteurs privilégiés des communes. Mais
il faut trouver les mots pour convaincre, et faire fi des divisions de la
population car les habitants de Ste Gemme ne sont pas du tout d’accord !
Le village de
Lanluet-Ste Gemme est composé de deux entités bien différentes. Comme deux
clans qui s’affrontent sans cesse sans connaître les fondements de la division,
comme deux ennemis héréditaires qui n’essayent même pas de réfléchir à la cause
de leur haine, Ste Gemme s’oppose à Lanluet. Et tout cela pour une question
d’église ! Encore une fois, après l’histoire de la chapelle de Ste
Gemme !
Il faut dire
qu’avoir associé Lanluet en bas du plateau, à Ste Gemme en haut du plateau, est
une idée plutôt singulière. Lorsqu’on descend la Grande Rue, les maisons de
gauche appartiennent à Lanluet tandis que celles de droite sont de
Feucherolles. Certains habitants de Lanluet sont donc tout près de
l’église de Feucherolles mais ils sont tenus d’assister à l’office[1]
dans la vieille église St Martin, isolée en plein marécage, à un quart de lieue
du village en bas de la côte qui descend de Ste Gemme à travers les bois.
L’endroit est
désert et propice aux voleurs qui y ont maintes fois dérobé ornements et vases
sacrés. De plus, les dégâts occasionnés par la foudre au début du siècle n’ont
été que sommairement réparés. Rare sont ceux qui se souviennent de cet orage
mais il avait dû être d’une grande violence car le maire qui s’occupe
dorénavant de la tenue des registres d’état civil [2]
en a retrouvé le récit fait par le curé d’alors. [3]
Les arguments
en faveur de la réunion des communes sont donc clairs : les limites des
paroisses sont si arbitraires que même les collecteurs d’impôt ont du mal à s’y
retrouver et l’église Ste Geneviève est bien assez grande pour accueillir tout
le monde. C’est compter sans les habitants de Ste Gemme : eux sont plus
proches de St Martin et refusent de descendre à la messe à Feucherolles.
Hier soir, il
s’agissait, après avoir pris connaissance de la demande des habitants de
Lanluet, de rédiger la lettre de soutien à cette réunion des communes de la
part des habitants de Feucherolles pour la porter au plus tôt au directoire de
district.
Jean Rochard,
Pierre Anquetin, Pierre Duchesne, Louis Artus, Maurice Hauducoeur entouraient
Jean-Louis Fontelle, l’officier municipal et notre maire Claude André Guignard
encore bien alerte et décidé à se battre, malgré ses 77 ans ! Jean Mignot,
qui venait voir son fils tous les soirs, tenait là son rôle d’officier
municipal. Jean-Louis Fontelle prenait consciencieusement en note les idées
émises.
Nous avons
d’abord lu les deux grandes feuilles de papier vert où les représentants de
Lanluet expliquaient, d’une écriture appliquée, leurs motivations et mettaient
dans la balance un argument choc pour faire plier le district : ils avaient
décidé de proposer de soutenir les frais de la guerre par une offrande de tous
les paroissiens… si la réunion des communes était acceptée !
Puis le texte
d’appui des habitants de Feucherolles a été enfin mis au point, après des
discussions très désordonnées et souvent inutiles. Je crois que je suis devenue
toute rouge quand j’ai entendu Jean Baptiste maugréer entre ses dents :
« Dommage que Charles ne soit pas là pour mettre un peu de rigueur dans
tout ça ! ». C’est vrai qu’il avait l’art de cadrer les discussions.
Il devait
bien être minuit lorsque Jean-Louis Fontelle nous a lu ce que donnait cette
lettre.
« Nous
Maire, officiers municipaux et habitants de la paroisse de Feucherolles
consentons librement et donnons avec joie et sincérité notre adhésion à la
réunion de la commune de Lanluet avec la nôtre pour ne faire ensemble qu’une
même paroisse et une même municipalité.
Certifions
que de tous temps telle a été notre intention ainsi que celle des citoyens de
Lanluet nos frères et nos amis, et que cette réunion n’a pour but que l’intérêt
de la nation, la facilité des contributions et l’amour de la société en foi de
quoi nous avons signé à Feucherolles le 8 mars 1793 l’an 2ème de la
république française. »
Le
soulagement d’avoir enfin réussi une telle lettre, nous laissa d’abord sans
voix, puis chacun donna libre cours à sa joie. Je sentis alors la main de Jean Baptiste
se poser sur mon bras..."
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