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jeudi 15 janvier 2015

Feucherolles Ste Gemme : la réunion des deux communes.


Extrait de "Un fragile jeu de quilles", Any Allard, inédit., pages 107 à 111.


" ... Depuis plusieurs semaines, la maison, le soir, ne désemplit pas. C’est qu’il y a urgence : il faut au plus vite terminer la lettre que les habitants de Feucherolles comptent adresser au directoire de district de St Germain pour soutenir la demande des habitants de Lanluet de réunir nos deux communes.
  Ce n’est pas une idée nouvelle : il me semble avoir toujours entendu discuter de ce projet de réunion tant nous sommes proches les uns des autres. Ainsi, dès le début de la Révolution, lorsque l’Assemblée Constituante a proposé la réunion des communes qui le souhaitaient, les habitants de Lanluet ont aussitôt demandé leur rattachement à Feucherolles. Trois ans plus tard, toujours pas de réponse à la demande, ni du département, encore moins de l’Assemblée. Alors la décision a été prise à la dernière réunion de la municipalité de s’adresser aux autorités de district devenues les interlocuteurs privilégiés des communes. Mais il faut trouver les mots pour convaincre, et faire fi des divisions de la population car les habitants de Ste Gemme ne sont pas du tout d’accord !
  Le village de Lanluet-Ste Gemme est composé de deux entités bien différentes. Comme deux clans qui s’affrontent sans cesse sans connaître les fondements de la division, comme deux ennemis héréditaires qui n’essayent même pas de réfléchir à la cause de leur haine, Ste Gemme s’oppose à Lanluet. Et tout cela pour une question d’église ! Encore une fois, après l’histoire de la chapelle de Ste Gemme !
  Il faut dire qu’avoir associé Lanluet en bas du plateau, à Ste Gemme en haut du plateau, est une idée plutôt singulière. Lorsqu’on descend la Grande Rue, les maisons de gauche appartiennent à Lanluet tandis que celles de droite sont de Feucherolles. Certains habitants de Lanluet sont donc tout près de l’église de Feucherolles mais ils sont tenus d’assister à l’office[1] dans la vieille église St Martin, isolée en plein marécage, à un quart de lieue du village en bas de la côte qui descend de Ste Gemme à travers les bois.
  L’endroit est désert et propice aux voleurs qui y ont maintes fois dérobé ornements et vases sacrés. De plus, les dégâts occasionnés par la foudre au début du siècle n’ont été que sommairement réparés. Rare sont ceux qui se souviennent de cet orage mais il avait dû être d’une grande violence car le maire qui s’occupe dorénavant de la tenue des registres d’état civil [2] en a retrouvé le récit fait par le curé d’alors. [3]

  Les arguments en faveur de la réunion des communes sont donc clairs : les limites des paroisses sont si arbitraires que même les collecteurs d’impôt ont du mal à s’y retrouver et l’église Ste Geneviève est bien assez grande pour accueillir tout le monde. C’est compter sans les habitants de Ste Gemme : eux sont plus proches de St Martin et refusent de descendre à la messe à Feucherolles.
  Hier soir, il s’agissait, après avoir pris connaissance de la demande des habitants de Lanluet, de rédiger la lettre de soutien à cette réunion des communes de la part des habitants de Feucherolles pour la porter au plus tôt au directoire de district.
  Jean Rochard, Pierre Anquetin, Pierre Duchesne, Louis Artus, Maurice Hauducoeur entouraient Jean-Louis Fontelle, l’officier municipal et notre maire Claude André Guignard encore bien alerte et décidé à se battre, malgré ses 77 ans ! Jean Mignot, qui venait voir son fils tous les soirs, tenait là son rôle d’officier municipal. Jean-Louis Fontelle prenait consciencieusement en note les idées émises.
  Nous avons d’abord lu les deux grandes feuilles de papier vert où les représentants de Lanluet expliquaient, d’une écriture appliquée, leurs motivations et mettaient dans la balance un argument choc pour faire plier le district : ils avaient décidé de proposer de soutenir les frais de la guerre par une offrande de tous les paroissiens… si la réunion des communes était acceptée !
  Puis le texte d’appui des habitants de Feucherolles a été enfin mis au point, après des discussions très désordonnées et souvent inutiles. Je crois que je suis devenue toute rouge quand j’ai entendu Jean Baptiste maugréer entre ses dents : « Dommage que Charles ne soit pas là pour mettre un peu de rigueur dans tout ça ! ». C’est vrai qu’il avait l’art de cadrer les discussions.

  Il devait bien être minuit lorsque Jean-Louis Fontelle nous a lu ce que donnait cette lettre.
  « Nous Maire, officiers municipaux et habitants de la paroisse de Feucherolles consentons librement et donnons avec joie et sincérité notre adhésion à la réunion de la commune de Lanluet avec la nôtre pour ne faire ensemble qu’une même paroisse et une même municipalité.
  Certifions que de tous temps telle a été notre intention ainsi que celle des citoyens de Lanluet nos frères et nos amis, et que cette réunion n’a pour but que l’intérêt de la nation, la facilité des contributions et l’amour de la société en foi de quoi nous avons signé à Feucherolles le 8 mars 1793 l’an 2ème de la république française. »

  Le soulagement d’avoir enfin réussi une telle lettre, nous laissa d’abord sans voix, puis chacun donna libre cours à sa joie. Je sentis alors la main de Jean Baptiste se poser sur mon bras..."


[1] Les décisions concernant l’ensemble du village sont prises à l’issue de la messe.
[2] Depuis novembre 1792, la municipalité se charge de la rédaction des actes d’état-civil.
[3] . Voir la note du curé en annexe.

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