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dimanche 3 février 2013


Le port de Port en Bessin : article 2

 Comme nous l’avons vu précédemment, la construction du port a été un long combat contre la nature et contre les volontés contraires de la ville de Caen. Entre le premier port et les installations que nous connaissons aujourd’hui, 500 ans se sont écoulés.

Chronologie de la construction du port :

Laissons de côté la période de l’occupation romaine et normande pour nous intéresser à la construction du port proprement dit.

Le port des évêques :

On le doit à Louis de Harcourt élu 59ème évêque de Bayeux en 1459 après avoir été gouverneur de la province de Normandie et Garde des Sceaux du Roi de France. Selon le chanoine Nicolas Renauld, (ou Regnault), l’évêque, particulièrement soucieux « de faire le plus grand bien de sa ville qu’il aurait désiré rendre une des plus riches et des plus agréables de la province… avait fait creuser un bassin à Port en Bessin où les navires marchands en.traient et apportaient leur cargaison et denrées. » En effet, Port fait alors partie du domaine des évêques de Bayeux.

Pour cela, vers 1475, il fait couper la digue de galets (gros sable) que les marées ont entassés et creuser dans les terres un bassin de 200 toises sur 40 (390 mètres sur 78) entouré de murs et protégé par deux môles en pierre sèche revêtus de bois qui formaient une passe et devaient protéger le bassin.

 Ce bassin, est séparé en deux par un pont–écluse en calcaire et pierres de taille à 7 arches, ouvrage de conception remarquable comme on n’en  construira que beaucoup  plus tard aux Pays Bas.

Le pont sépare le bassin d’échouage (bassin ouvert aux mouvements des marées) du bassin de chasse (réserve d’eau). Comme l’explique Philippe Oblet dans son ouvrage, « chaque arche (du pont) est munie d’une vanne qui se ferme quand la mer est pleine et s’ouvre à marée basse pour nettoyer le bassin et la passe » de la vase qui s’accumule

Pour situer ce premier port, il faut imaginer qu’il couvre la superficie des deux premiers bassins avant agrandissement et de la passe, c’est-à-dire qu’il s’étend de l’entrée du port à la criée. Le pont se trouve à l’endroit de la passe qui permet le passage entre les deux bassins en bas de la rue de Bayeux.

Mais l’ensemble, trop fragile, mal protégé, ne résiste pas aux tempêtes et à l’ensablement et dès 1629, les habitants du village réclament le rétablissement des bassins qui se sont comblés.

A la fin du XVIIIème siècle la situation ne s’est pas améliorée vu la description faite par le Chanoine Renauld : « Ce bassin faute d’entretien s’est rempli de gros sable qu’on appelle galet et qui est porté par le vent de Nord-Ouest … l’emplacement de ce bassin forme maintenant une sorte de marécage fangeux. On voit encore lorsque les grandes marées ont dégradé l’entrée du bassin des planches en bois qui en font l’enfoncement ; à l’autre extrémité vers les terres subsiste encore une large et forte digue bien maçonnée avec des arcs pour l’écoulement de l’eau. »    Cette « digue » dont parle le Chanoine Renauld, c’est le pont-écluse bien visible sur le dessin de Nicolas Antoine en 1761 (en L).

 
Un siècle plus tard, peu de temps avant qu’il ne soit détruit au moment de la construction du second bassin (1882), A de Caumont en publie une belle reproduction :
                                                   Gravure d’après V. Petit, in A. de Caumont, Statistiques…

Les cabestans :

Le port étant ensablé, Bayeux perd son ouverture sur la mer et le commerce décline : tanneries, fabrique de drap et d’étamine (tissu léger servant de passoire) n’ont plus de débouché pour leur production. Seuls quelques bateaux font encore le commerce du beurre et du cidre jusqu’à Rouen.

Alors, à la fin du XVIIème siècle, l’évêque de Bayeux, toujours seigneur de Port, fait construire des cabestans pour permettre aux pêcheurs de tirer plus aisément leurs embarcations au sec. Les cabestans sont des treuils manœuvrés à bras d’homme comme le montre bien le tableau d’Eugène Lepoitevin peint vers 1830 à Port en Bessin.

       Détail d’un tableau d’Eugène Lepoitevin « la grève de Port en Bessin » musée de St Vaast la Hougue.

Ces cabestans sont répartis sur cinq cales. On les distingue nettement sur le dessin de Nicolas Antoine  (G).                                      

                  
Le dernier cabestan est détruit en 1867 au moment de la construction des nouveaux bassins.

Le canal :

Parallèlement à l’idée de construction d’un port, on reprend au XVIIIème siècle le projet de construire un canal capable de maitriser les eaux de l’Aure et de la Drôme depuis la Fosse du Soucy et ainsi éviter les inondations qui, au moment des fortes pluies, empêchent la circulation entre Port et Bayeux.

Ce projet a déjà été envisagé par l’évêque de Harcourt qui voit dans les installations portuaires de Port le départ d’un canal à écluses pour permettre aux bateaux de remonter jusqu’à Bayeux, tout en évitant les débordements de l’Aure et de la Drôme.

La mort de l’évêque en 1479 n’en permet pas la réalisation mais l’idée d’un canal en prolongement du port n’est pas abandonnée.

Alors, enfin, en pleine Révolution, au moment où les districts et les départements ont obtenu un peu d’autonomie, les travaux pour le creusement du canal débutent. Le creusement est lent et les inondations des tranchées fréquentes du fait de l’importance des eaux souterraines. De plus, le coût des opérations est si élevé que l’entrepreneur, réaliste, refuse d’être payé en assignats (papier monnaie) en 1797 et abandonne les travaux.

L’avant-port : 1845-1864 :

Tout au long des XVIIème et XVIIIème siècles les projets se succèdent aussi pour rétablir les bassins et même créer un port de guerre. Lettres, pétitions, mémoires et rapports de mission occupent de nombreux cartons d’archives.

Il faut attendre le milieu du XIXème siècle pour qu’un accord et un financement soient enfin trouvés. Par la loi du 16 juillet 1845 Port en Bessin est classé port de refuge et l’Etat affecte 950 000 francs pour les travaux.

Mais c’est bien connu : il est impossible de satisfaire tout le monde ! Bayeux ne veut pas payer car le projet de l’ingénieur Bouniceau qui a été retenu ne lui plaît pas. Quant aux Portais ils se plaignent que les travaux du port nuisent au développement de la station balnéaire naissante. Les amateurs de bain de mer sont de moins en moins nombreux car la construction de l’avant-port fait disparaître une grande partie de la plage : un manque à gagner pour le commerce.



Quand on considère que, selon le projet de Bouniceau, il s’agit de construire les deux jetées et l’épi central, on peut sans problème imaginer l’ampleur du travail avec les moyens techniques du XIXème siècle. Sur une gravure d’A. Maugendre on aperçoit, sur la jetée d’aval au-dessus des fermes, le treuil à « cage d’écureuil » (roue en bois actionnée par la marche de l’homme) qui lève les charges du fond des navires.

Les peintres, attirés par la lumière si changeante qu’offre la mer à Port, nous donnent de belles illustrations des équipements de l’époque.

Georges Seurat peint le port dans un tableau de 1888 et Paul Signac la halle aux poissons construite sur l’épi central.







Une lithographie d’A. Maugendre donne aussi un bel aperçu de l’ensemble en 1867.
Les travaux se terminent en 1864 : une pierre de l’épi central porte la date de 1860.
Le port est construit. L’Histoire pourrait se terminer là. Mais les installations ne donnent pas satisfaction : les Portais repartent au combat, ce que nous verrons la prochaine fois…

Any Allard


Sources :

Archives départementales du Calvados :
Carte des villages de Port et de Commes en 1761, dessin lavé de Nicolas Antoine.
 Plan de Port, dessin lavé par Pierre Broquet 1776, AD du Calvados.
 «  Mémoires pour servir à l’Histoire de la ville et diocèse de Bayeux » Société des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Bayeux, 2010.
Base photographique des Archives, base Mérimée.
Le Pilote : articles de Charles Garnier 1910-1911
François Renaud : Charles Mozin, des bateaux et des marins, conférence à Trouville aout 2004
 Louis AUBOURG : Notice sur Port en Bessin, Bibliothèque de Lisieux.
Pierre Gouhier : Port en Bessin 1597-1792, cahier des Annales de Normandie, 1962.
Philippe Oblet : L’Histoire de Port en Bessin, 1978.
Article paru dans Le Plilote 2012, journal de Port en Bessin.



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