Le port de Port en Bessin : article 2
Chronologie
de la construction du port :
Laissons de côté la période de l’occupation
romaine et normande pour nous intéresser à la construction du port proprement
dit.
Le port des évêques :
On le doit à Louis de Harcourt élu 59ème
évêque de Bayeux en 1459 après avoir été gouverneur de la province de Normandie
et Garde des Sceaux du Roi de France. Selon le chanoine Nicolas Renauld, (ou
Regnault), l’évêque, particulièrement soucieux « de faire le plus grand bien de sa ville qu’il aurait désiré
rendre une des plus riches et des plus agréables de la province… avait fait
creuser un bassin à Port en Bessin où les navires marchands en.traient et
apportaient leur cargaison et denrées. » En effet, Port fait alors partie du domaine des évêques de Bayeux.
Pour cela, vers 1475, il fait couper la digue
de galets (gros sable) que les marées ont entassés et creuser dans les terres un
bassin de 200 toises sur 40 (390 mètres sur 78) entouré de murs et protégé par
deux môles en pierre sèche revêtus de bois qui formaient une passe et devaient
protéger le bassin.
Ce
bassin, est séparé en deux par un pont–écluse en calcaire et pierres de taille
à 7 arches, ouvrage de conception remarquable comme on n’en construira que beaucoup plus tard aux Pays Bas.
Le pont sépare le bassin d’échouage (bassin
ouvert aux mouvements des marées) du bassin de chasse (réserve d’eau). Comme
l’explique Philippe Oblet dans son
ouvrage, « chaque arche (du pont)
est munie d’une vanne qui se ferme quand la mer est pleine et s’ouvre à marée
basse pour nettoyer le bassin et la passe » de la vase qui
s’accumule
Pour situer ce premier port, il faut imaginer
qu’il couvre la superficie des deux premiers bassins avant agrandissement et de
la passe, c’est-à-dire qu’il s’étend de l’entrée du port à la criée. Le pont se
trouve à l’endroit de la passe qui permet le passage entre les deux bassins en
bas de la rue de Bayeux.
Mais l’ensemble, trop fragile, mal protégé,
ne résiste pas aux tempêtes et à l’ensablement et dès 1629, les habitants du
village réclament le rétablissement des bassins qui se sont comblés.
A la fin du XVIIIème siècle la situation ne
s’est pas améliorée vu la description faite par le Chanoine Renauld : « Ce
bassin faute d’entretien s’est rempli de gros sable qu’on appelle galet et qui
est porté par le vent de Nord-Ouest … l’emplacement de ce bassin forme
maintenant une sorte de marécage fangeux. On voit encore lorsque les grandes
marées ont dégradé l’entrée du bassin des planches en bois qui en font l’enfoncement ;
à l’autre extrémité vers les terres subsiste encore une large et forte digue
bien maçonnée avec des arcs pour l’écoulement de l’eau. » Cette « digue » dont parle le
Chanoine Renauld, c’est le pont-écluse bien visible sur le dessin de Nicolas Antoine
en 1761 (en L).
Un siècle
plus tard, peu de temps avant qu’il ne soit détruit au moment de la
construction du second bassin (1882), A de Caumont en publie une belle
reproduction :
Les cabestans :
Le port étant ensablé, Bayeux perd son
ouverture sur la mer et le commerce décline : tanneries, fabrique de drap
et d’étamine (tissu léger servant de passoire) n’ont plus de débouché pour leur
production. Seuls quelques bateaux font encore le commerce du beurre et du
cidre jusqu’à Rouen.
Alors, à la fin du XVIIème siècle, l’évêque
de Bayeux, toujours seigneur de Port, fait construire des cabestans pour
permettre aux pêcheurs de tirer plus aisément leurs embarcations au sec. Les
cabestans sont des treuils manœuvrés à bras d’homme comme le montre bien le
tableau d’Eugène Lepoitevin peint vers 1830 à Port en Bessin.
Détail d’un tableau d’Eugène Lepoitevin
« la grève de Port en Bessin » musée de St Vaast la Hougue.
Ces cabestans sont répartis sur cinq cales.
On les distingue nettement sur le dessin de Nicolas Antoine (G).
Le dernier cabestan est détruit en 1867 au
moment de la construction des nouveaux bassins.
Le canal :
Parallèlement à l’idée de construction d’un
port, on reprend au XVIIIème siècle le projet de construire un canal capable de
maitriser les eaux de l’Aure et de la Drôme depuis la Fosse du Soucy et ainsi
éviter les inondations qui, au moment des fortes pluies, empêchent la
circulation entre Port et Bayeux.
Ce projet a déjà été envisagé par l’évêque de
Harcourt qui voit dans les installations portuaires de Port le départ d’un
canal à écluses pour permettre aux bateaux de remonter jusqu’à Bayeux, tout en
évitant les débordements de l’Aure et de la Drôme.
La mort de l’évêque en 1479 n’en permet pas
la réalisation mais l’idée d’un canal en prolongement du port n’est pas
abandonnée.
Alors, enfin, en pleine Révolution, au moment
où les districts et les départements ont obtenu un peu d’autonomie, les travaux
pour le creusement du canal débutent. Le creusement est lent et les inondations
des tranchées fréquentes du fait de l’importance des eaux souterraines. De
plus, le coût des opérations est si élevé que l’entrepreneur, réaliste, refuse
d’être payé en assignats (papier monnaie) en 1797 et abandonne les travaux.
L’avant-port : 1845-1864 :
Tout au long des XVIIème et XVIIIème siècles
les projets se succèdent aussi pour rétablir les bassins et même créer un port
de guerre. Lettres, pétitions, mémoires et rapports de mission occupent de
nombreux cartons d’archives.
Il faut attendre le milieu du XIXème siècle
pour qu’un accord et un financement soient enfin trouvés. Par la loi du 16
juillet 1845 Port en Bessin est classé port de refuge et l’Etat affecte
950 000 francs pour les travaux.
Mais c’est bien connu : il est impossible
de satisfaire tout le monde ! Bayeux ne veut pas payer car le projet de
l’ingénieur Bouniceau qui a été retenu ne lui plaît pas. Quant aux Portais ils
se plaignent que les travaux du port nuisent au développement de la station
balnéaire naissante. Les amateurs de bain de mer sont de moins en moins
nombreux car la construction de l’avant-port fait disparaître une grande partie
de la plage : un manque à gagner pour le commerce.
Quand on considère que, selon le projet de
Bouniceau, il s’agit de construire les deux jetées et l’épi central, on peut
sans problème imaginer l’ampleur du travail avec les moyens techniques du
XIXème siècle. Sur une gravure d’A. Maugendre on aperçoit, sur la jetée d’aval
au-dessus des fermes, le treuil à « cage d’écureuil » (roue en bois
actionnée par la marche de l’homme) qui lève les charges du fond des navires.
Les peintres, attirés par la lumière si
changeante qu’offre la mer à Port, nous donnent de belles illustrations des
équipements de l’époque.
Georges
Seurat
peint le port dans un tableau de 1888 et Paul
Signac la halle aux poissons construite sur l’épi central.
Une lithographie d’A. Maugendre donne aussi un bel aperçu de l’ensemble en 1867.
Le port est construit. L’Histoire pourrait se terminer là. Mais les installations ne donnent pas satisfaction : les Portais repartent au combat, ce que nous verrons la prochaine fois…
Any Allard
Sources :
Archives départementales du Calvados :
Carte
des villages de Port et de Commes en 1761, dessin lavé de Nicolas Antoine.
Plan de Port, dessin lavé par Pierre Broquet
1776, AD du Calvados.
«
Mémoires pour servir à l’Histoire de la ville et diocèse de Bayeux »
Société des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Bayeux, 2010.
Base photographique des Archives, base Mérimée.
Le Pilote :
articles de Charles Garnier 1910-1911
François Renaud :
Charles Mozin, des bateaux et des marins, conférence à Trouville aout 2004
Louis AUBOURG :
Notice sur Port en Bessin, Bibliothèque de Lisieux.
Pierre Gouhier :
Port en Bessin 1597-1792, cahier des Annales de Normandie, 1962.
Philippe Oblet :
L’Histoire de Port en Bessin, 1978.
Article paru dans Le Plilote 2012, journal de Port en Bessin.
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