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vendredi 23 juillet 2010

Le désert de Retz au XVIIIème siècle : extrait d'un roman inédit "Un fragile jeu de quilles".


Un fragile jeu de quilles.

CHAPITRE II : Avril 1792.


... Je n'ai pas froid, mais je frissonne en passant par la porte de Ste Gemme. Cette porte s’ouvre dans le mur qui clôt la forêt de Marly depuis que le Roi Louis XIV a décidé d’en faire son domaine de chasse. Comme toutes les portes qui jalonnent le mur du Grand Parc de Versailles, elle est flanquée d’un petit pavillon dans lequel s’installe un garde des Plaisirs du Roi. Ces gardes sont chargés de la surveillance du domaine et lors des chasses royales, ils accueillent dans ces pavillons des domestiques qui préparent des collations pour le cas où le Roi ou ses compagnons auraient une petite fringale.

Exemple de porte à St Nom la Bretèche.
C’est dans le pavillon de cette porte de Ste Gemme qu’il y a un peu plus de deux mois, a été trouvé le corps de Joseph Romari, chasseur du neuvième régiment de Lorraine, tué d’un coup de fusil chargé à balles. Personne ne parle de cette affaire, officiellement, comme une loi du silence depuis le début des échauffourées dans le Grand Parc de Versailles. Mais on ne peut pas éviter de penser que cet homme était le symbole du pouvoir royal.

Quand je suis entrée dans la forêt, les maisons de Ste Gemme baignaient dans la lumière vive du soleil qui s'échappait d'un énorme nuage noir. La ferme des Dames de Poissy était ceinte d'un halo doré qui faisait ressortir le blanc crayeux des pierres de l'ancien château qui avaient servi à sa construction.

Mais, dans la forêt, tout est sombre, silencieux, obsédant. Seul un couple de pies lance parfois son cri comme un rire sinistre.

Ma chienne sur les talons, passé la maison du garde-chasse, je longe le mur du Roi. Plus qu'un point de repère, c'est pour moi une sécurité, l'impression de pouvoir à tout moment le franchir et sortir ainsi de la moiteur des sous-bois que l'orage d'hier a engendrée.

Pourtant c'est impossible : le mur file jusqu'à La Bretèche sans ouverture depuis la porte de Ste Gemme. J’ai souvent l'impression d'être prisonnière de cette forêt comme les biches et les sangliers qui, quelle que soit la direction prise, se heurtent toujours à cette limite, pour le plaisir des chasseurs.

Le mur à la Tuilerie Bignon.

Mais longer le mur est aussi, peut-être, un moyen inconscient de défense contre un mouvement insensible qui m'attire vers Chambourcy depuis cet après-midi d'été où j’ai découvert cet immense domaine si spectaculaire, appelé « le Désert de Retz. »

C'était en 1783, le jour du mariage de ma sœur aînée. Il y a bientôt dix ans ! Mais certains souvenirs sont si fortement gravés dans ma mémoire que je m’en souviens comme si c’était hier !

En fin d'après-midi je m'étais sentie du vague à l'âme, une sorte de jalousie peut-être : l'envie de quitter, moi aussi, la maison familiale, non pour fonder une famille mais pour trouver cette indépendance qui me manquait tant. Alors je leur avais faussé compagnie pour me faufiler dans cette forêt que j’affectionnais.

J’avais salué Wilherm Burquisser, le remplaçant de Joseph Romari, ce garde qui avait était tué. Il était suisse comme beaucoup de gardes des Plaisirs du Roi, et me faisait bien rire avec son accent traînant. J’étais partie à gauche vers les ruines du château de Retz qui servaient souvent de but à mes promenades. J’avais la tête légère du vin que j’avais bu et, perdue dans mes rêves, inconsciemment j’avais suivi la chienne, partie, le nez au sol, sur la piste d'un quelconque lapin. Elle était si jeune qu’elle avait encore du mal parfois à obéir.

Je n'avais pas d'abord été surprise de buter sur des rochers encadrant une lourde porte de bois taillée en pointe de diamant. Un vantail étant entrebâillé, je ne me posai pas de question et entrai dans la propriété, très curieuse tout à coup, car me revenait en mémoire tout ce que j’avais entendu dire de ce lieu mystérieux qu’on appelait Désert de Retz et qu’un certain Monsieur de Monville se faisait aménager depuis presque dix ans, en bordure de la forêt de Marly.

Je me souvenais très bien de la petite église en ruines dans laquelle j’aimais jouer lorsque j’étais enfant, seul vestige de St Jacques de Retz, hameau détruit paraît-il à la fin de la guerre qui, au XV° siècle avait opposé les Anglais et les Français. Cette église gothique, dédiée à St Jacques, avait été acquise par Monsieur de Monville en même temps que les treize hectares de terrain du petit village.

Mais j’avais du mal à m'orienter. Des chemins avaient été tracés parmi les arbres. La forêt avait perdu son aspect sauvage et le paysage que j’avais sous les yeux n'avait plus rien à voir avec mes souvenirs d'enfance.

Au bout d'une large clairière, une tour cannelée dont le sommet imitait un édifice en ruines, se dressait au milieu de pins, de mélèzes et de cèdres et me donnait un sentiment de profond malaise. La tour était énorme: je comptai seize fenêtres par étage, carrées au premier et ovales au second et au troisième. Elles étaient toutes ornées de plantes en pots. Au dessus des fenêtres du troisième étage, le mur avait été construit fendillé, déchiqueté. Il s’élevait encore assez haut et dissimulait une toiture en partie vitrée. C'était spectaculaire : cette tour percée d'ouvertures variées qui s'élançait pour se briser, sans trouver son aboutissement.


La tour vers 1783.

La tour restaurée.



Enhardie par le silence qui m’entourait, je collais mon nez à l’une des porte-fenêtre du rez de chaussée et pus ainsi apercevoir au centre de la colonne, un escalier à vis orné d'une multitude de vases de faïence débordant de plantes dont les couleurs se répétaient à l'infini dans un habile jeu de glaces.

Je sursautai au son du rire grave qui résonna à mes oreilles et, bouche bée, me heurtai à l'imposante stature du maître des lieux.
Monsieur de Monville était grand, la taille fine, l'allure sportive, la tête un peu petite mais agréable. Sûr de lui, c'est du ton le plus mondain auquel l’avait habitué sa charge de huissier de la Chambre du Roi, qu'il me demanda ce que je pensais de son jardin à l’anglaise. Devant mon air ébahi, il s’amusa à m’expliquer les ingrédients, (c’est le mot qu’il choisit) qui distinguaient alors un tel type de jardin. : la rivière sinueuse, les ruines, le pavillon chinois, le temple du dieu Pan, la rotonde, le théâtre découvert… Assommée par ce discours, je ne pus proférer un son et, aussi vite que ma robe de fête me le permettait, je sortis du domaine.

Depuis, un sentiment de honte ou de crainte, un sentiment de n'avoir pas été à la hauteur de la situation me tient éloignée de ce lieu mystérieux dont il paraît que s’échappe, certains soirs, le bruit de fêtes fastueuses. On dit que la reine elle-même a été accueillie au domaine !

Je suis partie tôt ce matin. J’ai besoin d’air, besoin d’être seule, besoin de marcher, vite. L’atmosphère est lourde ces derniers temps à la maison.......

2 commentaires:

yan terrien a dit…

Très intéressant

Unknown a dit…

L'article donne envie de visiter le désert de Retz !

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