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mercredi 25 janvier 2023

PORT-en-BESSIN : un décor de roman

 

Quand on pense à Port-en-Bessin vu par les artistes, ce sont les peintres qui viennent aussitôt à l’esprit. Rien de plus logique, l’art graphique précède l’écriture, l’interprétation de l’image peut être directe et ne demande pas de transposition. Pourtant les écrivains aussi se sont intéressés et s’intéressent encore à Port et leur description très réaliste nous entraine autant que les images dans l’univers que nous connaissons. 

 


1828 : « Tableaux d’une vie privée », Honoré de Balzac (1799 – 1850)

 

 C'est sur cette plage où le port n'est pas encore construit qu'Honoré de Balzac s'est promené lors de son séjour à Bayeux en 1822. 

 

Théodore Gudin, 1827  

Honoré a alors 23 ans. Il s’ennuie de sa sœur Laure et part la rejoindre à Bayeux où elle vient de s’installer avec son époux Eugène Surville, polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, envoyé en mission dans le Bessin.

À Bayeux, où il séjourne 3 mois, le jeune Balzac écrit plusieurs nouvelles sous le pseudonyme d’Horace de Saint Aubin. Il en profite aussi pour étudier le « petit monde » de Bayeux, ce monde de la province qui sera l’univers de ses romans.

 

La mer est toute proche et Balzac n’a pas manqué d’aller jusqu’à Port, puisque dans la première scène de la pièce de théâtre « Tableaux d’une vie privée » paru en 1828, il fait dire à Fanchette Lenoir s’adressant à Nathalie : « Oh Mademoiselle, taisez-vous, votre voix me trouble, baissez vos yeux, je vous en prie, ils me semblent lire dans l’avenir. Oui quand je vous ai vue, vous étiez comme la mer quand je l’ai admirée à Port-en-Bessin, unie comme une glace, et vous m’avez, comme elle, caché vos terribles orages ».

Peut-être accompagnait-il quelques fois son beau-frère sur le terrain puisqu’Eugène Surville travaille avec « le bon Mr Pattu », ingénieur d’arrondissement chargé du rapport sur le projet de canal des Fosses du Soucy à Port-en-Bessin. Les promenades sur la plage et le contact direct avec la mer l’ont marqué puisque dans une seconde version de l’ouvrage il reprend « quand je vous ai vue vous étiez comme la mer à Port-en-Bessin ».

 

Plus tard il décrit la « bonne société » bayeusaine au tout début de La Femme Abandonnée, nouvelle parue en 1832. Ce qu’il y écrit s’inspire directement de sa propre expérience : « En 1822, au commencement du printemps, les médecins de Paris envoyèrent en Basse-Normandie un jeune homme dont la convalescence exigeait un repos complet, une nourriture douce, un air froid et l’absence totale de sensations extrêmes. Les grasses campagnes du Bessin et l’existence pâle de la province parurent donc propices à son rétablissement. Il vint à Bayeux, jolie ville située à deux lieues de la mer, chez une de ses cousines. »

 

 

1854 : « Le Val de Commes », Gabriel Joret-Desclosières (1828 – 1913)

 

Quinze ans plus tard, en 1854, Gabriel Joret-Desclosières publie sous le nom de René Trungy, « Le Val de Commes » dont une partie de l’action se déroule à Port-en-Bessin. Avocat près la cour d’appel de Paris, Gabriel Joret-Desclosières est aussi conseiller général et maire de Longues. Érudit, il est l’auteur de nombreux ouvrages et présidera un temps la Société des Sciences, des Arts et des Belles Lettres de Bayeux. Son fils aîné, René (Louis Raoul) Joret-Desclosières (1857-1912) sera directeur des éditions Hachette, son épouse, Rose Templier étant la petite-fille de Louis Hachette, le fondateur de l'entreprise.

 

Le roman permet de connaître Port au milieu du XIXème siècle, au moment du développement des stations balnéaires. En effet, à cette époque, avant la construction du port, Port-en-Bessin est réputé pour ses bains de mer comme d’autres villages de la côte normande et l’hôtel de l’Étoile du Nord[1], face à la plage, s’est fait une spécialité des bains de mer en baignoire.

 

Gravure d'Adolphe Maugendre

 

En voici quelques extraits concernant Port :

 « … Cependant on commençait à distinguer le village de Port-en-Bessin, dont les maisons éclairées scintillaient au fond du vallon formé en cet endroit par une dépression de la côte.

- On m'a indiqué L’Étoile du Nord, cette auberge est-elle loin dans le village ?

- L'Étoile du Nord n'est pas une auberge, repartit le douanier avec un accent de nationalité blessée, c'est un bel hôtel, les chambres sont tapissées de papier ; l'hôtel est un peu au-dessous de la poudrière, le chemin que nous suivons passe au pied.

- Des familles de Caen et de Bayeux y passent la saison des bains ; il y vient même du monde de Paris.

« L'honnête douanier n'avait pas exagéré, l'hôtel de L’Etoile du Nord n'était pas une auberge.  Mr de Ménars se fit servir un souper confortable, qu'il arrosa d'une bouteille de Bordeaux. Ses forces réparées, le voyageur fut conduit dans une chambre fraîchement décorée, éclairée par deux fenêtres, donnant l'une sur la mer, l'autre sur la riche vallée de Comme…Un bruit de voix, qui s'élevait de la plage, arracha Mr de Ménars à ses souvenirs et attira ses regards vers le rivage. Des femmes et de jeunes mousses, armés de falots, s'agitaient au pied du flot, poussant des cris vers la haute mer, en élevant leurs lanternes comme s'ils eussent voulu se faire reconnaître. A ces cris, des voix mâles répondaient, paraissant sortir des vagues.

Mr de Ménars, lorsque ses yeux se furent habitués à l'obscurité, distingua, à une quarantaine de brasses du rivage, une flottille de quinze à vingt bateaux de pêche, les voiles carguées et sur leurs ancres ; des barques montées par un seul homme, conduisant à la godille, se détachaient des bateaux et s'avançaient rapidement vers le rivage ; le matelot manœuvrait pour aborder au point que lui désignaient les cris et le falot indicateur. Des corbeilles, remplies de poisson, furent tirées des barques, et, à peine la pêche eut-elle été étalée sur le rivage, que des poissonniers venus de la ville, et qui attendaient dans les cabarets l'arrivée de la marée, firent invasion sur la plage. Ce fut alors un spectacle plein d'animation et des plus originaux, que de voir ce mouvement de matelots, de femmes, d'enfants éclairés par la lueur rougeâtre des lanternes à vitre de corne ; tout cela, dominé par les cris et les jurons des poissonniers, se disputant chaleureusement aux enchères des lots de poisson, formait un tableau plein de contraste avec le calme de la mer et la silencieuse attitude de la flottille se balançant, gracieusement sur ses ancres… »

 

 

1881 : « Bouvard et Pécuchet », Gustave Flaubert (1821-1880).

 

Une trentaine d’années plus tard, Flaubert, va faire des recherches géologiques entre Port-en-Bessin et Ste-Honorine-des-Pertes pour coller à la réalité de ce qui sera son dernier roman, « Bouvard et Pécuchet ». Il va ainsi voyager pour trouver le lieu de l'action, et notamment en Basse-Normandie à l'automne 1877, où il finira par installer ses héros entre Caen et Falaise, à Chavignolles.

Au cours de ses voyages, Flaubert prend des notes très précises de ce qu’il voit, dans des Carnets : le Carnet 11 concerne son périple en Basse Normandie qui le conduit le mardi 25 septembre à Bayeux, Vaucelles puis de Port-en-Bessin à Ste Honorine des Pertes pour étudier la falaise des Hachettes.

Voici ce qu’il en retient :

« Falaise des Hachettes : Vallonnements d’herbes. Terre stratifiée grise, parfois noire comme du charbon de terre. Roches grises par strates. Petite grève de galets. Bancs de calcaire couverts de varech. La mer. Une porte comme la roche des Demoiselles à Étretat, mais en très petit. Filets d’eau douce tombant des rochers et qui clapotent pendant que la mer (murmure) <gronde>. C’est un duo. Dans les bancs de calcaire sur le sol, parmi les varechs, de longs sillons comme ceux que font les roues de voiture. De petits galets remplissent ces sillons.

Des flaques (d’eau) d’une couleur blanc de plomb, dans le varech qui est brun chocolat. Des bergeronnettes sautent sur la grève. Éponges, ammonites incrustées dans le calcaire. Cette grève s’appelle en partant de Port-en-Bessin, la grève des Grues, puis celle des Haches ou Hachettes. Et au loin, la pointe et raz de la Percée. »

 

 

Ces notes sont à la base d’une partie du chapitre III du roman :

« Pécuchet avoua que leurs enquêtes jusqu’alors n’avaient pas été fructueuses ; et cependant les environs de Falaise, comme tous les terrains jurassiques, devaient abonder en débris d’animaux.

— J’ai entendu dire, répliqua l’abbé Jeufroy, qu’autrefois on avait trouvé à Villers la mâchoire d’un éléphant.

Du reste, un de ses amis, M. Larsoneur, avocat, membre du barreau de Lisieux et archéologue, leur fournirait peut-être des renseignements ! Il avait fait une histoire de Port-en-Bessin, où était notée la découverte d’un crocodile…. L’homme de Villers qui avait déterré la dent de mastodonte s’appelait Louis Bloche ; les détails manquaient. Quant à son histoire, elle occupait un des volumes de l’Académie Lexovienne, et il ne prêtait point son exemplaire, dans la peur de dépareiller sa collection. Pour ce qui était de l’alligator, on l’avait découvert au mois de novembre 1825, sous la falaise des Hachettes, à Sainte-Honorine, près de Port-en-Bessin, arrondissement de Bayeux.

Le voyage des Hachettes fut résolu. Bouvard et Pécuchet prirent la diligence de Falaise pour Caen. Ensuite une carriole les transporta de Caen à Bayeux ; de Bayeux ils allèrent à pied jusqu’à Port-en-Bessin. »

                                                                                                                            Any Allard

(La suite de cet article, en juillet après sa publication dans le Pilote de Port-en-Bessin)


[1] L’hôtel de l’Étoile du Nord devient le préventorium lorsqu’il est racheté par la comtesse Pillet-Will. C’est le grand bâtiment blanc sur la gravure de Maugendre.

Sources :

 Article paru sur le site de La Manche libre.fr le 17/09/2012. Balzac à Bayeux.

Olivier Got, La Normandie de Zola : réalité et mythologie par, in le paysage normand dans la littérature et dans l’art, colloque d’Évreux 1978.

Gérard Pouchain « Promenades en Normandie avec Émile Zola », Éditions Charles Corlet, 1994.

Any Allard "Port-en-Bessin Insolite", Éditions Charles Corlet, février 2019

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