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lundi 10 février 2020


PORT-en-BESSIN pendant la seconde guerre mondiale.
(Première partie)
    En cette année qui marque le 75ème anniversaire du débarquement, il est intéressant de revenir sur les années noires qui ont précédé l’événement pour tenter de rendre compte de la vie quotidienne à Port-en-Bessin de 1939 à 1945.
    Le registre de délibérations du conseil municipal a servi de base à cette enquête enrichie de plusieurs témoignages retrouvés notamment à travers deux documents fournis l’un par Jean-Luc Queguiner (« La mémoire reconquise » film de Denis Gehanne, 1994, avec les témoignages de Camille Rousseville, Roger Colleville, Raymond Marie, Jeanne Terrier et Clément Blaie), l’autre par Agnès Durand (Projet éducatif du Collège de Trévières en 1994, témoignages de Jean et Yvette Durand). D’autres témoignages pris dans les documents répertoriés à la fin de cet article ont aussi servi à écrire ce récit.


Le 9 juillet 1939 est un jour de fête à Port-en-Bessin. Ce dimanche a été choisi par l’évêque pour la Bénédiction de la mer. Cependant les préoccupations internationales sont évidentes si l’on regarde le journal que tient le Dr Bernard, maire de Ryes : un des articles de la Une est consacré à Churchill qui ne ménage pas alors ses critiques face aux ambitions d’Hitler. Mais Port vit encore un été calme.


SEPTEMBRE 1939 – JUIN 1940

    Dans la nuit du 1 au 2 septembre 1939, après l’invasion de la Pologne par Hitler, les affiches pour aviser la population de la mobilisation générale et des réquisitions indispensables sont placardées dans toutes les villes de France. Le 3 septembre à 17 heures, quelques heures après l’Angleterre, la France déclare la guerre à l’Allemagne. L’armée se positionne de façon défensive derrière la ligne Maginot. Commence alors « la Drôle de guerre ».
    A Port, la dernière réunion du conseil municipal a eu lieu le 7 août 1939. Il faut attendre le 20 octobre pour que le maire Pierre-Henri Taussac réunisse de nouveau ce conseil qui a été élu en 1935 et qui restera en place jusqu’à la Libération : la commune ayant moins de 2000 habitants ne subit pas la loi du 16 novembre 1940 remplaçant les conseils par des corps nommés par le Préfet.  

 Pierre-Henri Taussac est  né en 1875 en Dordogne, à Terrasson. Le 17 janvier 1911, il achète le fonds de commerce de charbon, briquettes, ciment et accessoires précédemment exploité par René Paul François Lefèvre à Port-en-Bessin. Au début c'est charbon et matériaux de construction (brique et tuile) puis il développe le commerce du mazout au fur et à mesure de l'évolution des bateaux. Ainsi, si en 1916 il fait acheminer à Port un grand trois-mâts de charbon, en 1930 il fait accoster le premier bateau-citerne (350 000 litres de mazout) ce que L'Écho du Bessin du 26 décembre 1930 signale comme un progrès.
    Dans les délibérations, il n’est jamais fait allusion à un état de guerre car il est interdit de porter tout jugement sur les événements mais, à  travers les lignes, on peut se rendre compte d’une situation particulière lorsqu’il est fait mention de nommer « un aide au secrétaire de mairie vu le travail intensif occasionné par les circonstances actuelles ».
    A partir de janvier 1940, le manque de nourriture commence à se faire sentir. Les difficultés de ravitaillement, en ce début de conflit, sont dues aux réquisitions de  vivres pour les armées et de fourrage pour les chevaux qui entraînent pour les agriculteurs l’obligation de vendre leurs bêtes qui ne peuvent plus être nourries. A cela s’ajoute la diminution des récoltes et de la production industrielle et artisanale du fait du manque de main-d’œuvre vu la mobilisation générale. Un exemple tout à fait significatif : dans le Calvados, dans le secteur de la boulangerie, 700 patrons et ouvriers qualifiés sur 800 sont mobilisés. De plus l’hiver 1939-1940 est très rigoureux.
    Le Conseil municipal décide donc, dans un premier temps, d’accorder une assistance en pain à 12 familles. Puis le 17 mai 1940, la population est recensée pour l’établissement de cartes de pain. Le Bureau de Bienfaisance distribue pain et viande aux indigents.
    Sur le front, les événements se sont précipités : le 10 mai 1940, les Allemands ont entamé une offensive foudroyante à travers la France après les mois d’attente de la « Drôle de guerre » repoussant puis encerclant les armées alliées.
    Le 30 mai, 18 chalutiers portais, soit 79 marins pêcheurs, participent à l’évacuation de Dunkerque. C’est l’opération Dynamo organisée depuis Douvres : il s’agit d’évacuer par la mer, sous les bombardements allemands, les troupes alliées retranchées dans la ville de Dunkerque encerclée. Les petits bateaux de pêche sont des cibles beaucoup moins visibles que les gros bâtiments et peuvent ainsi éviter plus facilement les tirs allemands. Ils vont alors être réquisitionnés pour effectuer d’incessants va-et-vient entre les côtes françaises et anglaises au péril de leur vie : certains, comme Romain Durand, effectuent jusqu’à trois allers-retours. André Delain ajoute « Et ils ont assuré les derniers l'évacuation du Havre sous les bombes ».
Marcel Thomine, blessé au cours de ces opérations de sauvetage, meurt dans un hôpital anglais et Jules Vingtrois doit être amputé d’une jambe.
    Le 14 juin les troupes allemandes défilent dans Paris. Le 20 juin 1940, elles occupent Port-en-Bessin. Deux jours plus tard, le maréchal Pétain signe l’armistice avec l’Allemagne.
    Devant l’avance allemande, les populations fuient : c’est l’exode qui lance sur les routes les civils affolés. L’abri Thomas Lemonnier sert de refuge aux populations de passage, et des familles portaises offrent d’en héberger certaines. Dans la grande maison de Jeanne Terrier, rue Nationale, plus de 80 personnes seront  hébergées durant cette période, dont « un notaire, logé dans une toute petite pièce avec tous ses dossiers » se souvient-elle en 1994.

L’OCCUPATION ALLEMANDE.

    Des bâtiments sont réquisitionnés pour l’installation des troupes d’occupation notamment le préventorium sur la place Gaudin, l’immeuble Stella Maris des Sœurs St Vincent de Paul et l’abri Thomas Lemonnier qui devient le centre administratif allemand. La Kommandantur s’installe dans la maison contiguë à l’abri, puis dans la cité St Sébastien évacuée.
    D’après le traité d’armistice conclu en juin 1940 c’est l’État Français qui doit subvenir aux « frais d’occupation» de l’armée allemande et le maire est tenu pour responsable de toutes les infractions aux décisions prises par l’occupant.
Dans le même temps Port passe à l’heure de l’Europe centrale, l’heure allemande : il faut avancer les horloges d’une heure.
    Dans toutes les zones occupées, la pénurie s’amplifie du fait des réquisitions allemandes, du blocus des côtes, de l’absence des hommes prisonniers de guerre, du manque de matières premières, des difficultés de transport entre les régions … Le rationnement des produits de première nécessité (pain, viande) est institué.
    A Port, cette pénurie est accentuée du fait de la réquisition des chalutiers par les Allemands. En effet, ayant décidé de débarquer en Angleterre (opération Seelöve), ils s’en servent pour faire des exercices, la préparation des troupes allemandes pour ce débarquement étant très minutieuse. La vie devient difficile : plus de bateaux, plus de revenus. Il faut trouver de quoi se nourrir. Les Portais cherchent tout moyen de subsistance en se faisant embaucher notamment dans les fermes. L’appoint de nourriture est fourni par la pêche aux moules sur le rocher et le braconnage. Cependant, le projet allemand de débarquement prend du retard devant l’échec des bombardements en Angleterre.
    Les chaloupes qui ne sont pas réquisitionnées partent souvent à la pêche à la voile car il y a peu de carburant. Lorsque le journaliste du Petit Journal demande à André Delain, fin septembre 1940, si les pêcheurs souffrent du manque de carburant, il répond : « Nous l'obtenons au compte-goutte... Mais ce qui nous fait défaut, c'est l'huile. Songez que nous recevons un litre d'huile pour cent litres de gas-oil. »
    Les embarcations ne peuvent pas aller à plus de 3 miles des côtes et sont surveillées même à bord par un soldat allemand. Le nom de chaque chaloupe qui sort est noté et son retour est contrôlé ainsi que la quantité de poissons pêchés qu’il faut déclarer, pas toujours au kilo près si on en croit les témoins interrogés !
    Les Portais sont aussi réquisitionnés. Ainsi, le frère de Camille Rousseville passe 4 ans dans une ferme où il doit dormir avec les chevaux. Clément Blaie est envoyé quelques temps à Évreux pour aider à la construction d’un terrain d’aviation puis garde les vaches pendant un an.

    Le conseil municipal tente de faire ce qu’il peut pour aider la population. Le 19 novembre 1940, il réclame aux autorités allemandes la libération de Charles Hommet, entrepreneur de peinture, la commune étant dans l’incapacité d’aider sa femme paralysée à élever ses 7 enfants avec les 450 francs alloués par la Préfecture. Charles Hommet a été arrêté le 2 juin 1940, avant l’arrivée de l’occupant, comme « propagandiste communiste » par deux gendarmes français sur décision du préfet du Calvados.
    Le 18 décembre 1940 : Le Conseil municipal décide d’accorder 50 francs aux femmes ou aux pères des 23 prisonniers de la commune. De même le 23 mai 1941, une quête est faite par d’anciens combattants pour les colis aux prisonniers à laquelle la mairie ajoute une subvention.
    Le 6 février 1942, le maire doit organiser la Défense passive : service chargé d’organiser et de secourir la population civile en cas de bombardement. En attendant qu’un comité soit créé, Gustave Tabourel, Georges Blanlot, André Allard, Joseph Blaie, Louis Françoise et Jacques Marie sont désignés comme brancardiers éventuels.
    Mais les problèmes de ravitaillement se multiplient : il faut nommer un nouveau secrétaire adjoint vu l’ampleur du travail au service des cartes de ravitaillement. Il faut aussi acheter un nouveau cheval, les Allemands ayant réquisitionné celui qui servait à l’enlèvement des boues et des immondices.
    En juillet, le bilan financier est lourd pour la commune bien que certains fournisseurs aient offert le charbon et les légumes pour la cantine et que la population ait multiplié les dons. Il est donc décidé que l’hiver suivant ne seraient pas acceptés à la cantine gratuite les enfants dont les parents gagnent suffisamment leur vie : il ne devrait plus rester alors qu’une trentaine d’enfants auxquels on pourra ajouter les vieillards sans moyens.

    C’est dans ce moment de pénurie et de déficit budgétaire que la commune de Port, comme toutes les communes de France, se voit confrontée à un nouveau problème financier. En effet, le gouvernement de Vichy a pour but de former « l’homme nouveau » qui rendra sa grandeur à la France : un homme sain, sportif et viril. Cette mission est confiée au Commissariat général à l’éducation générale et sportive (CGEGS). Le sport est proclamé « chevalerie moderne ».
    Le préfet du Calvados demande donc aux maires en décembre 1940 de «  faire un grand effort pour la formation d’une jeunesse saine, de corps harmonieux et au caractère bien trempé. » avec pour projet « une commune, une école, un stade ». Le 13 janvier 1941, le conseil municipal prend bonne note de la demande mais refuse l’idée de création d’un bassin de natation vu la proximité de la mer !
    L’affaire va occuper longuement la commune car, outre les problèmes financiers qui apparaissent malgré les quelques subventions du gouvernement, il faut trouver un terrain. Le préfet propose de recourir  aux « réquisitions d’usage » et même à l’expropriation pour utilité publique selon la loi du 4 septembre 1941. Affaire très délicate dans une petite commune où tout le monde se connaît. Des pourparlers sont engagés avec Ernest Legallois pour installer le terrain de sport sur ses deux herbages. Mais il refuse de vendre.
    De toutes façons, vu les circonstances particulières de la situation géographique de Port, face à la mer d’où peuvent arriver les forces alliées, il y a bien d’autres problèmes à régler.

    Le 15 octobre 1942, le maire signale que les Allemands ont évoqué une éventuelle évacuation des habitants du front de mer et explique donc les dispositions prévues à cet effet. Sont concernées les familles habitant entre le quai Letourneur et les rues Torteron et de la mer et la cour du centre ; ainsi que les familles habitant le Pollet soit 270 personnes. Il faut y ajouter les vieillards et les infirmes (288 personnes) ainsi que le reste des habitants sauf ceux qui seront considérés comme indispensables ( 160 personnes). Le maire indique aussi avoir entrepris des démarches auprès de la Kommandantur pour obtenir la réquisition des logement communs et des dépendances non occupées par les troupes afin d’assurer un abri aux familles menacées d’éviction ou à leur mobilier.
A plusieurs reprises la menace d’évacuation de la ville est évoquée. Elle ne sera suivie d’effet que pour la population du Pollet et du front de mer.
    Entre le 15 octobre 1942 et le 20 juin 1944, il n’y a que quelques affaires courantes évoquées dans le registre de délibération.

PORT-EN-BESSIN DEVIENT UNE FORTERESSE

    Après l'entrée en guerre des États-Unis en décembre 1941 et face à la menace d'un débarquement allié, Hitler ordonne la construction d'une ligne de défense tout le long du littoral des côtes européennes : le mur de l'Atlantique, édifié depuis la Norvège jusqu'à la frontière espagnole.
    Port en Bessin devient une forteresse défendue par des batteries appelées WN (abréviation allemande de Wiederstandnest : nid de résistance, en termes militaires, point d’appui), et par des murs en béton armé de la hauteur d’un étage qui barrent les rues sur le front de mer, pour empêcher tout passage à des troupes qui débarqueraient et à quiconque voudrait se rendre sur les jetées. « Port était coupé de tout dit Jeanne Terrier, toutes les rues étaient bouchées, on était comme en prison. Le village était entouré de barbelés : on ne devait pas savoir ce qu’il se passait. »
    Ainsi, la défense allemande de Port en Bessin est composée de quatre positions :  WN55 sur la falaise d’amont, WN56 pour protéger au sol les jetées et les bassins, WN57 sur la falaise d'aval, WN58 au sud du village.
    La position WN55 située en haut de la falaise d’amont, est la plus importante du point d’appui avec plusieurs bunkers, un radar Freya (nom d’une déesse nordique), des tranchées et tobrouks (bunkers individuels utilisés pour la défense d’un point plus important). En contrebas, la WN56 comprend principalement un mur antichar (les murs qui barrent les rues) et une casemate sous la Tour Vauban assurant un tir de couverture à l’entrée du port.
Le mur est construit avant la démolition du Pollet puisque la maison des Prigent au pied de la tour Vauban n’est pas encore détruite.


Il empêche l’accès à la mer en barrant la rue Michel Lefournier appelé alors « rue de la mer » et fait du quai Félix Faure une voie sans issue en interdisant le passage sur la quai Letourneur.


Le mur qui barre la rue de la mer prend appui sur la maison qui fut celle de Charles Garnier et dont la salle du bas sert alors de cinéma.

    La position WN57  qui est occupée aujourd’hui par le Mémorialdu 47th Royal Marine Commando, s’articule autour d’un bunker d’observation, situé à flanc de falaise, dont le champ de vision très large permet de couvrir une zone allant de Vierville-sur-Mer à Arromanches-les Bains en passant par l’ancien sémaphore de Longues-sur-Mer. La position comprend deux casemates pour canon, un Regelbau 612, (casemate de tir pour canon de campagne), des tobrouks VF58 (postes d’observation) et un encuvement pour Flak de 20mm (abri pour défense anti-aérienne). La WN57 permet de piloter la WN58 qui ne comprend que des canons de campagne sans structures en dur.
Parallèlement à l’édification de ces défenses, les Allemands décident de détruire tous les bâtiments qui pourraient gêner leur tir : c’est ainsi que disparaissent les maisons du Pollet et la halle aux poissons. Seule la tour Vauban continue à monter la garde. (à suivre)



                                                                                                         
Sources :
. Film de Denis Gehanne, Port en Bessin : La mémoire reconquise,  juin 1994 : Témoignages de Camille Rousseville, Roger Colleville, Raymond Marie, Jeanne Terrier, Clément Blaie.
. Projet éducatif du collège de Trévières en 1994 : témoignage de Jean Durand.
. Été 44 Bayeux ville-hôpital, Edition spéciale de la Société des Sciences, Arts et Belles-lettres de Bayeux, 33ème volume – 2004) : témoignage de Bernard Leroux 7 ans en 1944.
. Ph. Oblet : L’histoire de Port-en-Bessin
. Les divisions allemandes en Basse Normandie pendant l’Occupation, V. Schneider, Annales de Normandie, 2005.
. Le sport et l’éducation physique sous l’Occupation. Discours et réalité : le cas du Calvados, Charles Pécout, Annales de Normandie 2005 p. 267-276.
. Le Petit Journal, 2/10/1940, interview de André Delain, marin pêcheur, président du syndicat des pêcheurs et directeur de l’école de pêche en 1940.
                                                                                                                                                                                 Any Allard.


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