Article publié dans "Le Pilote" 2017
journal annuel de Port en Bessin
Dominique Poisson a la passion des cartes postales et photos anciennes, passion qu’il sait faire partager à tous par l’intermédiaire de son blog. Toujours à l’affût d’une nouvelle vue de Port en Bessin pour alimenter la belle collection qu’il possède déjà, son œil exercé a été fort intrigué par une petite photo présentant « la Maison des Feux » (c’est le titre de la photo), à un endroit différent de celui que l’on connaît aujourd’hui : sur la photo dont il est question, elle se situe à droite de la route qui monte de Port vers Huppain, et non pas à gauche, le feu d’aval étant aussi plus à l’ouest que l’actuel. Il est aisé de se rendre compte aussi que cette ancienne Maison des feux se situe dans le flanc de la colline et non pas en terrain dégagé et qu’un escalier conduit directement au feu d’aval depuis le chemin des Tourettes. Pour qui sait observer, les marches de cet escalier se distinguent aujourd’hui encore sous la végétation.
journal annuel de Port en Bessin
Dominique Poisson a la passion des cartes postales et photos anciennes, passion qu’il sait faire partager à tous par l’intermédiaire de son blog. Toujours à l’affût d’une nouvelle vue de Port en Bessin pour alimenter la belle collection qu’il possède déjà, son œil exercé a été fort intrigué par une petite photo présentant « la Maison des Feux » (c’est le titre de la photo), à un endroit différent de celui que l’on connaît aujourd’hui : sur la photo dont il est question, elle se situe à droite de la route qui monte de Port vers Huppain, et non pas à gauche, le feu d’aval étant aussi plus à l’ouest que l’actuel. Il est aisé de se rendre compte aussi que cette ancienne Maison des feux se situe dans le flanc de la colline et non pas en terrain dégagé et qu’un escalier conduit directement au feu d’aval depuis le chemin des Tourettes. Pour qui sait observer, les marches de cet escalier se distinguent aujourd’hui encore sous la végétation.
Collection D. Poisson |
Cela
m’a d’autant plus étonnée que la plupart des documents, même le site Mérimée du
gouvernement, présente l’actuel « Phare,
dit la Maison des Feux », comme ayant probablement été construit au
milieu du XIXème siècle, avant d’être détruit dans les bombardements de 1944
puis reconstruit. Il n’évoque absolument pas une autre Maison des Feux. Seule,
une fiche d’un circuit de randonnée à Port, éditée par Bayeux Intercom, signale
que les feux occupent leur emplacement actuel depuis 1887, et non pas depuis le
milieu du XIXème siècle, mais sans citer leurs sources, ni donner plus de
détails.
Et
pourtant d’autres documents iconographiques présentent aussi la Maison des Feux
à cet emplacement, à droite de la route, ainsi que le feu d’aval qui lui
correspond. Il s’agit tout d’abord des deux tableaux de Paul Signac peints en
1884, La Plage et Le Catel. Mais il est évident que ce ne sont pas ces éléments-là
qui attirent le regard dans les paysages que Signac a peint : il faut
savoir qu’ils sont là pour les voir.
De
même, sur une photo prise par Charles Garnier en 1885, lors de l’un de ses
séjours d’été à Port, une maison surmontée d’une statue apparaît bien au même
endroit, sur un terrain plat dans le flanc de la falaise. Pour se rendre compte
aisément de l’endroit concerné, le feu d’aval était situé là où il y a
aujourd’hui une aire aménagée à l’extrémité de la rue Torteron et la Maison des
Feux, juste au-dessus, là où une maison basse, au bout du chemin qui part de la
rue du Phare, est cachée par la verdure.
Il
fallait donc chercher preuve et explication dans les archives car ce n’est pas
rien de concevoir l’alignement de deux feux pour indiquer l’entrée d’un port. Les
calculs ne peuvent laisser place à l’erreur. Il faut donc vraiment avoir de
sérieuses raisons pour entreprendre une seconde fois un tel travail et déplacer
feux d’aval et d’amont.
Sur
le plan levé en 1854 par l’ingénieur des Ponts et Chaussées Pierre Bouniceau au
moment de la construction du port, la ligne d’alignement des feux prévus pour
indiquer où franchir les digues, aboutit exactement au creux de la falaise
comme le montre aussi le plan minutieux effectué par l’instituteur de Port en
1878 : la Maison des Feux se situe à droite du chemin de douanier, dans le
creux de la falaise, alignée sur le feu d’aval pour conduire au
franchissement de la passe.
C’est
sur le toit de cette maison qu’est placée la statue de la Vierge offerte par le
comte d’Houdetot lors d’une cérémonie en 1859, comme le rapporte le journal « l’Indicateur de Bayeux » du 25
octobre 1859 : « Jeudi prochain, dans la matinée, Mgr
l'évêque se rendra en la commune de Port-en-Bessin pour procéder à la
bénédiction de la statue de la Vierge, léguée aux marins de la localité par M.
le comte d'Houdetot. Cette jolie statue de la sainte patronne des matelots est
l'œuvre de notre habile sculpteur bayeusain, M. Hotin, qui l'a taillée dans un
bloc de pierre dure des carrières de Cully. Elle vient d'être placée au faîte
du bâtiment du fanal que l'administration des ponts-et-chaussées achève de
faire construire dans le flanc de la
falaise de gauche. Elle se trouve dans l'axe de la passe, et de cette
hauteur, elle domine au loin, comme un guide protecteur de nos pécheurs, à leur
entrée dans le port. La présence à Port-en-Bessin de Léon Le Cieux,
l'éminent violon de la chapelle impériale, contribuera à l'éclat de la
solennité et lui donnera un charme de plus. Pendant une messe-basse qui sera
dite par Monseigneur, avant la bénédiction de la statue, notre gracieux artiste,
accompagné par une jeune pianiste de talent, exécutera des symphonies
religieuses, et au retour de l'inauguration de la statue, les chants sacrés du
salut et de la bénédiction du Saint-Sacrement. Cette pieuse et touchante
cérémonie devra, si le temps se montre favorable, attirer ce jour-là bon nombre
d'assistants à Port-en-Bessin. »
La
Maison des Feux est donc bien construite, comme le dit l’article, dans le flanc de la falaise, et non pas
en terrain dégagé.
Cependant, selon une autre matrice cadastrale couvrant
une période plus large, il apparaît qu’en 1889 il y a un autre phare appartenant
à l’Etat sur la parcelle 91 de la section A. Le cadastre apporte donc la preuve
qu’un nouveau phare a été construit à l’emplacement actuel, sur la gauche du
chemin quand on monte depuis Port vers Huppain, et non plus sur la droite comme
précédemment.
Deux articles de « l’Indicateur
de Bayeux » datés du 31 août et du 4 septembre 1888 nous apprennent
que la nouvelle Maison des Feux a été inaugurée et bénie le 2 septembre
1888 : « Dimanche prochain, 2
septembre, aura lieu à Port en Bessin, l’inauguration et la bénédiction de la
nouvelle Maison des Feux. Le soir les barques de pêche seront
illuminées. » « Il y avait dimanche foule de promeneurs à
Port-en-Bessin pour assister à l’inauguration de la nouvelle maison des feux.
De longues files de verres de couleurs et de lanternes couraient sur les
jetées, tandis que tes bateaux du port se balançaient aux lueurs de
l'illumination. Le spectacle était charmant. »
En revanche, aucune explication n’est donnée
concernant la nécessité de construire ce nouveau phare.
Des
falaises instables :
Cependant, comme les deux Maisons des Feux, l’ancienne[1] et la nouvelle,
coexistent pendant un certain temps, il est évident que c’est au niveau du feu
d’aval qu’un problème est survenu, vraisemblablement un éboulement de la
falaise ou un glissement de terrain, qui a nécessité la construction d’un autre
feu plus à l’est, sur un terrain plus stable, et donc, l’obligation d’une
nouvelle maison des feux dans l’alignement.
Pour
comprendre le problème, il faut savoir que les falaises de Port en Bessin qui
présentent de bas en haut, un calcaire massif, puis un talus marneux et enfin
une corniche calcaire plus ou moins masquée par la végétation, sont des
formations très instables sujettes à des effondrements et à des affaissements
de terrain liés à l’action de l’eau qui en sape la base ou qui creuse des
galeries souterraines dans les massifs calcaires, et liés aussi à la présence
de failles. Cette érosion est différente selon la nature des roches : le
calcaire de la base se creuse de cavités tandis que le talus est sujet aux
glissements de terrain.
Mais
il faut aussi noter « qu’aux
instabilités de terrain profondes se surimposent des glissements
de terrain plus superficiels se manifestant sur l'ensemble du linéaire de côte rocheuse.
Le versant surmontant l'avant-port de Port-en-Bessin semble particulièrement
propice à ce second type de mouvement » comme le signale le « Plan de prévention des
risques naturels de mouvements de terrain des communes de
Port-en-Bessin-Huppain et Commes : phénomènes historiques. » demandé par la Direction départementale
des territoires et de la mer du Calvados en février 2012.
Ce rapport
signale, en particulier, des glissements
de terrain superficiels ayant alors atteint le chemin piétonnier des Tourettes. C’est
vraisemblablement ce phénomène de glissement de terrain à cet endroit précis,
qui a obligé la construction d’une seconde Maison des Feux. L’étude de
plusieurs cartes postales prises plus tard par l’abbé Dubosq permet en effet de
distinguer un éboulement significatif à l’endroit où était construit le premier
feu d’aval.
Ces
mouvements de terrains sont aussi dus à la présence d’un réseau de failles,
comme signalé précédemment. Ces failles, d’une orientation est-ouest, sont
aisément détectables par le fait que, les glissements se produisant le long de
leur ligne, ils font alterner des zones de fossés (les grabens) et des zones
plus élevées (les horsts). Ainsi, La
Feuille des Naturalistes, revue mensuelle d’Histoire naturelle, dans son
numéro d’octobre 1877,
rendant compte d’une expédition
faite à Port en Bessin
raconte que « aux Grues une avancée de la falaise nous permet
de voir une faille dans la direction E. O. avec une dénivellation d’environ 6 mètres. » Cette faille qui se prolonge jusqu’à Ste Honorine où elle est connue sous le
nom de faille des Hachettes, passe par le lieu-dit « Les Traversaines » où se situait le premier sémaphore disparu dans un éboulement de la
falaise. L’événement, plus spectaculaire que l’écroulement du feu d’aval, est
commenté dans les journaux locaux :
Le 2
avril 1908, un article du journal « le
Cherbourg éclair » relate « un curieux incident » : « …dans
la nuit du 1er avril, à Port-en-Bessin, à neuf kilomètres, au
nord de Bayeux. La falaise sur laquelle est établi le sémaphore,
s'est écroulée dans la
mer avec un bruit effroyable. Le guetteur, François Ybert, de Saint-Malo, n'eût que le
temps de se sauver sur la terre ferme ainsi que sa femme. Le barrage de
protection de la route et une partie du jardin du guetteur ont été noyés par les
eaux. Les bras en fer du grand mât du sémaphore se dressent lamentablement au bord de la falaise
à demi-éventrée. Le
guetteur a eu une peur bien compréhensible devant l'effondrement qui s'est produit et
qui pouvait avoir pour sa femme et pour lui de terribles conséquences. »
Le 9 avril, « L’indicateur de Bayeux »
précise : « Le sémaphore
de Port-en-Bessin menaçant ruine par suite d'un éboulement de
la falaise, le Préfet Maritime a prescrit, l'évacuation
immédiate de ce
poste ; Le service de veille de jour continuera à être assuré, et les
guetteurs seront logés jusqu'à nouvel ordre, soit à Port-en-Bessin, soit à
Huppain. »
Le
sémaphore disparaît entièrement lors d’un brusque éboulement de la falaise en
1913. Les nouvelles données technologiques ont permis de construire le nouveau
sémaphore plus en retrait de la falaise.
La
Maison des Feux actuelle est donc la troisième construite à Port (1859, au
creux de la falaise à droite du chemin en montant vers Huppain ; 1888, à
gauche du chemin et 1954 reconstruction au même endroit après les bombardements
du débarquement en juin 1944) Le sémaphore est le second.
Il
est évident que nous vivons sur une planète en perpétuelle évolution. Mais
avant de craindre la montée des eaux due au réchauffement climatique,
méfions-nous d’abord des mouvements de terrain qui affectent les falaises.
Any
Allard.
Merci à Jean Luc Queguiner pour sa
détermination concernant l’existence d’un château sur la falaise et à Dominique Poisson pour avoir eu la même
détermination afin de me pousser à étudier l’histoire de la Maison des Feux.
Sources : Archives départementales
du Calvados : plan cadastral, état de sections, matrice cadastrale de
Huppain et documentation iconographique Port-en-Bessin.
Base Mérimée :
culture.gouv.fr
L’Indicateur de Bayeux
et Le Cherbourg-éclair consultables sur le site Normannia.info
Plan de prévention des
risques naturels des mouvements de terrain des communes de Port-en-Bessin-Huppain
et Commes, DDTM du Calvados, février 2012.
Feuilles des
Naturalistes, octobre 1877.
Etude des photos prises
par Charles Garnier, transmises par François Renault.
[1] En 1900, selon la matrice
cadastrale, sur la parcelle 82, lieu-dit la Folie, l’ancienne maison des feux
existe toujours et est notée comme appartenant au gouvernement en tant que
dépendance du sémaphore. Une carte postale intitulée « La passe par
mauvais temps » permet de constater de visu la coexistence des deux
maisons.
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