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dimanche 12 décembre 2010

Feucherolles : Villiers le sec, un domaine disparu.

Du plus grand domaine de Feucherolles avant la Révolution française, l’enquêteur chargé de l’inventaire général du patrimoine culturel en 1996 a noté : «il ne reste aucune trace. »
 Le promeneur attentif peut cependant remarquer, quand la végétation n’est pas trop fournie, quelques vieux châtaigniers alignés, vestiges des deux allées qui menaient à l’ensemble formé par la demeure seigneuriale et la ferme.

Le domaine de Villiers le sec était situé à l’écart de Feucherolles à environ 1.5 kilomètres en allant vers Crespières. Il se dressait entre le lieu appelé aujourd’hui « Les Lions » et la mare de Villiers (voir carte IGN), lieu-dit qu’on rejoint en prenant à l’église la rue de l’étang puis le chemin de terre qui la prolonge jusqu’au bois de Villiers.

Sous l’Ancien régime, ce chemin de terre est appelé « le chemin de Villiers à Feucherolles ». Suivant les actes, on le nomme aussi, en allant de Feucherolles à Villiers : rue de la mare salée (il s’agit de l’étang du Domaine de l’Abbaye), puis après la dite mare, chemin des petites fontaines (les lavoirs), chemin de la Folie et chemin des terres fortes.

Villiers-le-sec est aussi appelé « Villiers en Cruye », la forêt de Cruye étant la première appellation de la forêt de Marly. En celtique « cruye » signifie « terre dure » d’où « le sec ».
Au début du XVIIIème siècle, le domaine de Villiers en Cruye est un fief tenu par Mr du Londel. Ce fief lui a été donné par le comte de Ponchartrain auquel il a prêté foi et hommage selon la coutume. Mr du Londel, alors orthographié « de Longdele » apparaît parmi les privilégiés sur le rôle de taille de 1740 de la paroisse de Feucherolles.
En 1789, le domaine appartient à la Marquise de la Roussière, née Geneviève Claude Briçonnet d’Oysonville. Les Briçonnet sont seigneurs d’une partie de Feucherolles depuis le milieu du XVIIème siècle.
Elle a épousé en 1734 André du Pont-d’Aubevoye, seigneur de la Roussière, mariage célébré en Anjou où la famille Briçonnet tient l’essentiel de ses biens.
A la mort de son époux, en 1755, Geneviève Claude de la Roussière a 43 ans. Elle accepte la garde de ses enfants dont elle est déclarée tutrice par acte du 9 juin 1755.
En 1789, de ses quatre enfants, seuls les deux garçons sont encore vivants. Les deux sœurs jumelles sont mortes : Anne-Charlotte-Geneviève le 5 décembre 1765 et Marie-Renée, religieuse bénédictine au couvent de la Fontaine-St Martin, diocèse du Mans, le 1er juin 1774.

René-Jacques-Claude du Pont-d’Aubevoye, dit comte de la Roussière, est l’aîné. Il est né le 11 novembre 1734. (et oui, la morale n’est pas sauve : Mlle Briçonnet était enceinte de plus de deux mois le jour de son mariage !). Il est Chevalier, seigneur de nombreuses terres en Anjou, page de la petite écurie du Roi de 1750 à 1753, puis lieutenant au régiment de St Val, cavalerie, par brevet du 22 sept 1753 où il sert jusqu’en 1760. Il épouse par contrat du 10 juillet 1763 Marie Bouët de la Noüe. Il réside à Oysonville près d’Etampes ou à Chavaigne en Eure et Loir.

Le second, Henri-Charles du Pont-d’Aubevoye, dit le Chevalier de la Roussière est né le 15 janvier 1738. Il est comte d’Oysonville, Capitaine au régiment de Grenoble dans le corps royal d’artillerie, chevalier de St Louis. Il épouse le 24 juillet 1780 sa cousine Louise Françoise du Pont-d’Aubevoye de Lauberdière dont il aura 4 enfants.

Mme de la Roussière réside peu dans son domaine de Feucherolles, préférant la douceur angevine. La demeure, dite « le vieux château » n’est pas en bon état. C’est une terre de rapport dont la ferme qui jouxte le château est louée à Jean Hardelay.
Le plan levé en 1794 et la description des biens en 1798 donnent une description très minutieuse de l’ensemble.

Le domaine, alors nommé seigneurie de Villiers, comprend un principal corps de logis appelé le Vieux château et une ferme attenante. Les bâtiments s’ordonnent autour de deux cours communiquant par une porte charretière. L’entrée du château se fait par un bosquet de tilleuls près d’un petit bâtiment servant de chapelle.

Le château a 15 toises (environ 30 mètres) de long sur 21 pieds (6.7 mètres) de large hors d’œuvre et 16 pieds (5 mètres) de hauteur. Les murs sont en maçonnerie de meulière et mortier de terre ravalé en plâtre. (Il existe une importante carrière de meulières dans le bois des Flambertins tout proche).

La demeure principale s’ouvre au rez-de-chaussée sur un escalier central, avec d’un côté une chambre à coucher à cheminée et petit cabinet attenant, chambre qui sert de logement au garde-chasse, et de l’autre côté cuisine, laverie, office, garde-manger et descente de cave.

Au premier étage on trouve une salle à manger, deux chambres à feu, sept cabinets et un cabinet d’aisance, le tout revêtu de boiseries dans toute la hauteur et en mauvais état. Dans les combles en partie mansardés : sept cabinets lambrissés dont un à cheminée.

Toutes les cheminées à l’exception d’une qui est en bois, sont garnies de pierre de liais. (variété de calcaire à grain fin et serré. Pour les jambages de cheminée on se sert du liais férault qui ne brûle pas au feu).

La ferme attenante comprend au sud le logement du fermier, à l’ouest les écuries, étables à vaches, colombier, charreterie et bergeries, au nord d’autres bergeries et à l’est des granges. La ferme s’ouvre au nord sur les champs, près de la mare de Villiers.

Quant au moulin à vent il n’en reste plus, en 1794, qu’une tour en meulière et mortier, sans couverture ni plancher.

Deux allées de châtaigniers convergent vers l’ensemble.

Les terres s’étendent de Crespières à Orgeval, au-delà de la Grande route des Chasses (prolongement de la Route Royale de la forêt) jusqu’à la Ferme des Beurreries et à celle du Poult, sur plus de 230 hectares. Leur description, pièce par pièce, couvre plus de 40 pages dans le procès-verbal d’arpentage pour la vente des biens nationaux. Avis aux amateurs : l’une des pièces de terre contiguë aux bâtiments est appelée « Bois du Trésor » !

Dans les bois clos de murs appelés le Clos de Launay et la Garenne, à Crespières et dépendant du domaine de Villiers, se trouvent alors les ruines d’un vieux château.



                                                Atlas de Trudaine, Paris vol.VI, Versailles II, Archives Nationales.
 

La vente des biens nationaux.

Quand Mme de la Roussière meurt le 26 octobre 1793, on s’aperçoit que toute la famille a été inscrite sur la liste des émigrés alors que seul son fils Henri-Charles a émigré depuis le 14 juillet 1789.
Tous ses biens sont donc mis sous séquestres en tant que biens d’émigré pour être vendus au profit de la nation.
Les scellés sont posés le 25 ventôse an II (15 mars 1794). Louis-Jacques Artus en tant que garde des bois du domaine et concierge de la maison est chargé de surveiller les scellés.
René-Jacques-Claude de la Roussière se bat alors pour entrer en jouissance de sa part, n’ayant pas émigré. Il obtient un certificat de résidence indispensable pour prouver sa bonne foi et qui le décrit ainsi :
« 59 ans, taille : 1 mètre 62, cheveux et sourcils châtains, yeux roux, nez long, bouche moyenne, menton rond, front grand, figure allongée marquée de petite vérole. »

Il lui faut attendre 4 ans pour obtenir en l’an VI que sa mère décédée et lui soient rayés de la liste des émigrés et que le domaine soit divisé en deux lots : l’un pour lui, l’autre pour la République qui sera vendu comme part d’un émigré. Les fruits et revenus de la terre depuis la mort de sa mère lui seront restitués mais il devra payer les frais de séquestre.

L’affaire est si longue à résoudre que le citoyen Leblond « commissaire des logements des parents des défenseurs de la partie » s’indigne auprès des administrateurs du département, le premier vendémiaire an V (22 septembre 1796), que personne n’ait encore soumissionné pour l’achat du domaine de Villiers alors qu’il l’a lui-même signalé comme bien d’émigré 3 ans auparavant ! Un zélé délateur récidivant !

Les biens sont arpentés et estimés à partir du 28 fructidor an VI (14 septembre 1798). La levée des séquestres est faite en frimaire an VII (novembre 1798) à l’issue du tirage au sort qui attribue à René-Jacques-Claude le Château et la moitié des terres, la ferme et l’autre moitié étant pour la vente des Biens nationaux de 2ème origine, vente des biens des émigrés. Il est décidé dans le même temps que la mare au dessus de la ferme qui s’étend alors jusqu’au chemin de Davron à Poissy restera commune entre le château et la ferme et que « les baies » et portes qui faisaient communiquer le château et la ferme seront bouchées à frais commun entre l’acquéreur de la ferme et le propriétaire du château.

Le lot comprenant la ferme est vendu à Moyse Mayer le 17 nivôse an VII avec 82 hectares de terres et
prés, 19 hectares de bois et 3 hectares de châtaigniers. Moyse Mayer réside à Paris, 187 rue Chapon dans le Marais. Il est « entrepreneur du casernement des troupes dans les quatre départements du pays conquis » (voir note 1). La lettre qu’il envoie au Directoire de département, la veille de la vente, explique que cet achat de domaines nationaux est conforme aux dispositions prises par le Ministre des finances en faveur des Entrepreneurs des différents services militaires. (Façon de remercier pour les services rendus à la Nation ?)

Il laisse Charles Hodanger, fermier. Celui-ci est l’époux de Marie Elizabeth Dégénété dont il a 4 enfants. La ferme occupe 8 domestiques. Les Hodanger font partie de ces grandes lignées de fermiers qui se partagent à bail, les terres de la région et savent bien profiter du système seigneurial pour s’enrichir (voir article sur le Grand Parc de Versailles). On trouve ainsi des Hodanger tout au long du XVIIIème siècle dans le Marquisat de Maule, notamment. Rien ne changera pour les Hodanger de Villiers : le propriétaire sera toujours absent.

Au moment de l’indemnité du Milliard des émigrés selon la loi du 27 avril 1825, il est versé aux héritiers de Henri-Charles 161 124 francs 48 centimes de dédommagement pour la vente de leurs biens. Le Chevalier de la Roussière est mort en 1812 et enterré à Lasse dans le Maine et Loire.

L’iconographie nous présente l’ensemble des bâtiments encore bien debout en 1819 (cadastre napoléonien) et en 1899(monographie des instituteurs pour l’exposition universelle).

Monographie des instituteurs, 1899.
 
D’après les documents cadastraux, états de section de 1809 et matrices cadastrales des XIXème et XXème siècles, il apparaît qu’au début du XIXème siècle la ferme appartient à Joseph Lesage, bourgeois à Paris, puis à sa veuve de 1838 à 1868.

C’est toujours une terre de rapport louée à un fermier, un certain Laporte qui, en 1855, demande l’autorisation au Préfet de Seine et Oise, d’établir dans la propriété « une distillerie agricole système champenois, mue par un manège sans chaudière ni machine à vapeur, ni écoulement de résidus au dehors ». Anquetin, adjoint au maire de Feucherolles, appuie largement la demande précisant qu’il pense que « la culture de la betterave est appelée à apporter une notable amélioration dans l’économie générale, et qu’elle ne peut nuire en rien à la culture du froment puisque les terres qui autrefois restaient en jachère sont les seules qui servent à la culture de la betterave. (De plus) ces tubercules procurent de l’ouvrage aux ouvriers au moment où ils seraient sans cela dans l’inaction. »

L’enquête de commodo et incommodo (enquête administrative préalable à une déclaration d'utilité publique ou à une autorisation administrative d'établissement) ne soulevant aucune opposition, Laporte étant le seul à habiter là, la construction de la distillerie est autorisée.
Deux ans plus tard, Laporte modernise, obtenant l’autorisation d’établir « une chaudière à vapeur de la force de 16 chevaux… pour faire marcher (la) distillerie, une machine à battre et tous les appareils de l’exploitation. » La mécanisation est en marche.
En 1868, à la mort de Mme Lesage, la propriété est acquise par Pierre-Marie-Auguste Langeais.

Quant au château après avoir appartenu à un tanneur de Meulan, Nicolas Gouinbault et à ses héritiers, il est acquis en 1882 par le comte de Galard, de Crespières qui a acheté 12 ans plus tôt, le château de Wideville. (Voir note 2) La matrice cadastrale déclare le château de Villiers «démoli » en 19o7. D’après ce que Henri Euvé avait pu me dire, le comte de Galard aurait fait démolir l’ensemble du domaine dont il s’était rendu propriétaire au moment de la construction de la ferme dite « Ferme neuve » en limite de Feucherolles sur le territoire de Crespières.

En 1924, d’après la matrice cadastrale, il ne reste plus qu’une maison de garde en contrebas du domaine qui appartient à Gérard René Maximilien de Chavagnac et en 1931 à sa veuve Antoinette Louise Betty Léonino, baronne, fille de Juliette de Rothschild . Antoinette Leonino est alors propriétaire du château de Wideville, d’où elle est chassée le 4 juillet 1940 par l’arrivée des Allemands.

Du vaste domaine de Villiers-le-Sec, il ne reste effectivement plus rien, juste quelques vieux arbres mis à mal par la tempête de 1999.

Any Allard

Notes :


1. « Les 4 départements du pays conquis » : il s’agit du département du Mont-Terrible (chef-lieu Porrentruy) constitué en 1793 par l’annexion d’une partie de l’évêché de Bâle, rattaché en 1800 au département du Haut-Rhin, et des 3 départements français de Grèce créés en 1797 lors de l’annexion des îles ioniennes au moment de la signature du traité de Campo-Formio en 1797 et perdues à la fin de l’année 1799.


2. En 1884 le comte de Galard fait ramener à Wideville les cercueils contenant les restes de 3 membres de la famille de Bullion, descendants du Surintendant des finances de Louis XIII, Claude de Bullion pour qui le château de Wideville était la demeure préférée.


Sources :
Archives nationales :
1Z1g 291 A : rôle de taille de Feucherolles 1740
Archives départementales :
Séquestres révolutionnaires : 1Q 279, 4Q 101, 5Q 305, 5Q 220
Cadastre : 3P3 595 à 599.
Enquête commodo et incommodo : 7M 126.
Ouvrage consulté :
Angélique Faure de Berlise, Mme de Bullion, 1539-1664, par MC Daveluy, Revue d’Histoire de l’Amérique française, Vol 9 n°1, 1955.

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