Article paru dans "Le Pilote", Port-en-Bessin, janvier 2011.
Les
églises dont l’Europe s’est couverte dès la fin du Xème siècle
assurent, comme un symbole, la base de notre civilisation
judéo-chrétienne. Leur clocher les signale de loin pour appeler au
rassemblement : il n’est qu’à voir, dominant la plaine en quelque point
que l’on se trouve, les flèches de la cathédrale de Bayeux.
Ce
sont six églises que nous allons découvrir pour mieux connaître
l’Histoire de nos villages : les églises de Neuville, de Villiers, de
Huppain et de Port-en-Bessin. Six églises témoins de paroisses
aujourd’hui disparues du fait des fusions qui se sont succédé depuis
1774.
En effet le 12
juillet 1774, l’évêque de Bayeux unit la paroisse de Neuville à celle de
Huppain, à la demande du seigneur de Neuville, le marquis de Bezons, vu
l’état de l’église dont la tour menace de s’écrouler et vu le petit
nombre de paroissiens.
Puis le 14 avril 1824, les communes de Neuville et de Villiers sont rattachées à celle de Huppain, canton de Trévières.
Enfin en 1972, Huppain est détachée du canton de Trévières et rattachée à Port-en-Bessin, canton de Ryes.
En revanche, si Villiers sur Port subsiste comme hameau de Huppain, il n’en est pas de même de Neuville disparu en tant que tel.
Ainsi
les fusions de paroisses et de communes ont largement simplifié le
paysage administratif et ecclésiastique de nos villages, rassemblant les
communes de Villiers sur Port, de Neuville, de Port et de Huppain, dans
l’unique entité de communes associées et de paroisses appelée désormais
« Port-en-Bessin–Huppain ».
De
ces six églises, deux ont été détruites : l’une dans un glissement de
terrain, l’autre par la volonté des hommes. Les quatre autres églises
existent encore, en plus ou moins bon état de conservation.
L’église de Neuville :
Ruines de l'église de Neuville. |
Les promeneurs et
surtout les golfeurs qui ont le plaisir de jouer sur le parcours du
Manoir peuvent admirer ce qu’il reste du village de Neuville à partir du
trou n° 6 : le Manoir dit ferme de Neuville ou manoir du baron Gérard,
et les ruines de l’église. Cette église de Neuville était dédiée à
Notre-Dame-des-Saintes-Reliques. Au XIIIème siècle, lorsque le chœur est
reconstruit, elle appartient à l’abbaye de Cerisy par le don que lui a
fait Raoul de Lisle au siècle précédent. Dès le XVIIème siècle la tour
est en très mauvais état : on en descend alors la cloche datant du
XIIIème siècle. Après plusieurs années de procédure entre le seigneur et
l’évêque de Bayeux, le 12 juillet 1774, ce dernier, Mgr Rochechouart
unit la paroisse de Neuville au bénéfice-cure de Huppain. L’édifice,
alors à l’abandon, sert de carrière de pierres.
Mais
ce qu’ignorent les promeneurs c’est qu’un des murs qui se dressent à
côté des vestiges du chœur de Notre Dame des Saintes Reliques, sur le
même chemin, correspond aux fondations du mur ouest d’un temple
protestant que les Calvinistes avaient fait ériger dans la seconde
moitié du XVIème siècle.
Plan cadastral de 1823. |
Ce
temple protestant dont le maître d’œuvre est inconnu, est mentionné en
1603 parmi les quatre temples du synode de Caen. Il était de forme
allongée, construit en mur de calcaire en moyen appareil, c'est-à-dire
en pierre taillée au pic sur place et d’une taille facilement
manipulable par l’homme, d’après le dossier d’inventaire topographique
établi en 1991-1992 par Bernard Ducouret. Selon Frédéric Pluquet (Essai
historique sur la ville de Bayeux, 1829) il aurait été détruit avant la
Révocation de l’Edit de Nantes en 1685.
L’église de Villiers :
Située
près du château de Villiers sur Port, l’église dédiée à St Nicolas,
date, comme le château, du XIIème siècle. Différents travaux historiques
ont permis de retracer les étapes de sa construction comme indiqué à
l’inventaire général de 1991 : au XIIIème siècle, édification de l’étage
supérieur et de la flèche du clocher, superbe pyramide, et aménagement
de chapelles seigneuriales dans la nef ; aux XVII ème et XVIIIème
siècles, fermeture du porche sous le clocher, et de la baie à l’est pour
installer un rétable.
Quand
la paroisse est réunie à celle de Huppain, le cimetière et l’église
sont abandonnés et le mobilier transporté à Port-en-Bessin. Les ardoises
et les bois de charpente sont récupérés par les habitants de Huppain
mais ceux de Villiers cachent la cloche de l’église dans une des douves
de l’ancien château, afin qu’elle ne soit pas donnée aux Portais !....
Ce qui fit dire dans la région : « Les Portais savent pêquer dans leur
mé, mais point dans nos mares. » !
L’édifice
abandonné se dégrade malgré son achat en 1876 par la marquise de Mathan
qui souhaitait le préserver et quelques travaux de consolidation au
XXème siècle. C’est aujourd’hui, comme l’église de Neuville, une
propriété privée.
L’église de Huppain.
Cette
église dédiée à St Pierre est placée au XIIème siècle sous le patronage
de l’abbaye de Cerisy, comme l’église de Neuville. Elle est élevée sans
travée, en voûtes d’ogives et en berceau en plein cintre. Le clocher
est érigé dès le XIIème siècle : il servait alors de porche lequel est
fermé au XVIème ou XVIIème siècle. Au XVIIIème siècle, les lambris qui
couvrent la nef sont mis en place et au sud une porte est percée. Entre
1880 et 1882, l’église est rénovée sous la direction d’Alphonse
Delauney, architecte des Monuments historiques. La croix de cimetière
est érigée à la fin du XIXème siècle.
Les églises de Port en Bessin :
La première église
se situait sur la falaise de Huppain. Elle disparaît avec le cimetière
qui s’avançait face à la mer, lors d’un de ces glissements de terrain
si nombreux dans la région et qui peuvent affecter de larges bandes de
terre. Il suffit, pour s’en rendre compte, de retenir qu’en 1969, un
glissement a emporté une bande de 30 mètres de large sur une longueur de
200 mètres au pied du sémaphore de Longues. Devant la menace
d’éboulement, l'église est abandonnée et les ossements retrouvés dans le
cimetière sont réunis au pied de la croix située au bas de la rue du
Phare. Quelques gravures, sans plus de précision, représenteraient cette
église.
La seconde église a été heureusement photographiée avant sa destruction.
Internet
peut prêter le flanc à de nombreuses critiques mais a le mérite, bien
utilisé, d’être un support à la conservation et à la diffusion de la
mémoire collective.
Le
ministère des affaires culturelles ayant fait recenser au début des
années 1990, les bâtiments classés, deux photos de l’église démolie en
1891 ont pu ainsi être sauvegardées avant la disparition de l’album des
Archives paroissiales dans lequel elles étaient collées. De plus, le
centre culturel Léopold Senghor dispose de superbes photos prises par
Charles Garnier, en 1891. Ces photos ont été prêtées par François
Renault, auteur du livre « Bateaux de Normandie » paru en 1984. Lui-même
les tenait de la famille Lehodey, descendants de Charles Garnier à
Douvres la Délivrande, qui les lui avait prêtées pour ses recherches.
Lors d’une conférence donnée à Dives-sur-mer en septembre 2002, François
Renault rend hommage à Charles Garnier, le présentant comme un témoin
extraordinaire pour ses connaissances de la côte de Basse Normandie dans
la seconde partie du XIXème siècle. Charles Garnier a, en effet, relaté
chaque jour, de 1868 à 1930, tout ce qu’il faisait et voyait dans des
cahiers et des albums-photos conservés à Douvres la Délivrande où il est
mort. Il observait les manœuvres dans les ports surtout à Port en
Bessin où il construisait des maquettes de bateaux. et, au cours de ses
promenades il a pris de nombreux clichés dont quelques uns de l’église
peu de temps avant sa démolition.
Il
est ainsi possible aujourd’hui de rendre à tous l’image de cette église
et d’illustrer les propos de Philippe Oblet, d'Arcisse de Caumont et de
H. de Chanterenne qui, dans le numéro 32 du Pilote de 1911, déplore de
ne plus apercevoir « des hauteurs de Commes ce petit monument du temps
passé avec son clocheton à deux baies ».
Cette
seconde église de Port sous le vocable de St André était située dans
l’actuel cimetière face au manoir seigneurial, dans le hameau au sud du
village de pêcheur, hameau appelé La Maladrerie car il comprenait aussi
une léproserie. Cette église était à l'origine la chapelle de la
léproserie St André.
Façade Ouest. |
Construite
au XIIème siècle, elle avait subi des transformations au fil des temps :
reconstruction des travées vers la fin du XIIIème siècle,
transformation des baies du côté sud et construction de la sacristie au
XVIIIème siècle, démolition de la tour qui menaçait ruine en 1827 et qui
est remplacée par un clocher mur avec deux cloches apparentes.
Pour mieux connaître cette église il est intéressant de lire l’article que Le Pilote lui a consacré en janvier 1911 :
«
Cette église dont les murs offraient un spécimen de maçonnerie en
arêtes de poisson devait dater du XII ou XIIIème siècles ; du reste Mr
de Caumont attribuait à cette époque la première partie du chœur, qui
probablement dans l’origine servait de sanctuaire, la nef suffisant pour
la population d’alors ; plus tard le chœur avait été agrandi et, dans
les derniers temps, une vaste tribune avait été construite au bas de la
nef pour suffire à cette population croissante qui se pressait chaque
dimanche dans son enceinte et dont ses nombreux ex-voto, ses petits
navires pendus à la voûte témoignaient de la foi ardente et de la
confiance des matelots à la Vierge Marie……(Cette église ) renfermait un
grand nombre de sépultures…. En 1718, Demoiselle Denise de la
Bazonnière, veuve de noble homme Michel Suhard ; 1718 également, un fils
de Pierre Philippe seigneur de Marigny ; 1749, Pierre d’Argouges,
écuyer, sieur de Rubercy ; 1750, noble homme François d’Argouges ; 1751,
Nicolle, sieur du Long-Praÿ. »
Arc central ancienne église. |
Mais
l’église est vraiment trop petite : une partie des assistants à la
messe doit se tenir dehors, faisant la queue jusqu’à la porte du
cimetière. Alors, en 1875, sous l’impulsion du nouveau curé François
Joseph Lesueur dit Paty, le conseil de fabrique décide de construire une
nouvelle église.
L’église St André est entièrement démolie en 1892 après l’ouverture au culte en 1889 de la nouvelle église.
La nouvelle église sans le clocher. |
Lorsque
les murs du cimetière sont reconstruits au début du XXème siècle, on y
incruste des débris de l’ancienne église notamment quelques chapiteaux
et claveaux de l’arc triomphal bien visibles lorsque l’on sort du
cimetière. La croix de cimetière est érigée là où se trouvait le chœur
de l’église St André.
Démolition de l'église. |
La troisième église
de Port-en-Bessin est l’église actuelle en haut de la Grande rue. Elle
est dédiée à St André, St Sébastien étant son second patron. Le conseil
de fabrique en ayant décidé la construction, le terrain est acquis en
mars 1876 et c’est le projet de G. Moutier, architecte de Bayeux qui est
retenu. Les travaux sont adjugés à un entrepreneur de St Laurent,
Gustave Lebrunet en 1880. Elle est ouverte au culte le 19 avril 1889
alors que la tour n’est pas encore construite, les travaux se terminant
en mars 1898.
C’est cette église qui réunit désormais les paroissiens de Port, de Huppain et des hameaux environnants.
Any ALLARD
Sources :
Inventaires topographiques de 1991-1992, base Mérimée.
Le Pilote, janvier 1910
Esquisse des mouvements de terrain dans le Calvados, Université de Caen
Essai historique sur la ville de Bayeux, Caen, 1829 par Frédéric Pluquet
Conférence, journée du patrimoine à Dives-sur-mer par François Renault, 21 septembre 2002.
L’Histoire de Port-en-Bessin, Philippe Oblet, 1978.
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